Page:Platon - Œuvres complètes, Les Belles Lettres, tome VI.djvu/38

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
XXXII
INTRODUCTION

à tout imiter et tout reproduire : éléments, animaux, hommes, vertus et vices, passions nobles et viles, bien et mal. Nous louerons, s’il le faut, la souplesse infinie de cette maîtresse d’illusion, mais nous la bannirons de notre cité et ne conserverons que la poésie austère et simple, incapable d’imiter autre chose que le bien (398 b). Autant que les paroles, nous surveillerons donc les harmonies et les rythmes, écartant les modes plaintifs ou voluptueux et ne conservant que ceux qui respirent la bravoure et la sagesse. Nous imposerons les mêmes règles à la peinture, à l’architecture, à tous les arts. Ainsi pourrons-nous créer cette atmosphère de grâce mesurée et de saine beauté, où les âmes de nos jeunes gens doivent s’imprégner des justes enthousiasmes et des chastes amours. Chastes, car Platon réformateur insiste solennellement sur cette loi de la cité parfaite : plus encore que la beauté des corps, on y estimera et chérira la beauté des âmes, et du mutuel amour entre les gardiens sera expressément bannie toute volupté sensuelle (403 c).

À des hommes ainsi formés, avons-nous besoin de donner des règles détaillées pour la culture du corps ? Non : c’est l’âme qui, bien dressée, doit à son tour dresser et façonner le corps. Elle trouvera d’elle-même le régime qu’il faut à nos gardiens : sobre et souple, aussi éloigné de la diète compliquée des athlètes professionnels, si engourdissante pour l’esprit, que des raffinements de la gourmandise ou de la volupté. Éveillés, alertes, supportant joyeusement les privations et les fatigues, ils auront des corps sains au service d’âmes saines et n’importuneront pas plus les médecins qu’ils n’importuneront les juges. Car ils sont des ouvriers, eux aussi, ouvriers de la liberté de la cité. Pas plus que des bûcherons, ils n’ont de temps ni de goût pour les médications ou les procédures, et la cité, attentive à ramener à la norme, s’il le faut, par une opération rapide, les corps ou les âmes qui s’en écarteraient en passant, ne gagnerait rien à prolonger, par de laborieux ou indulgents sursis, la vie de corps ou d’âmes gangrenés. Là où le mal est trop profond, la mort est le seul remède (410 a).

Voilà donc au moins esquissée cette culture harmonieuse du corps et de l’âme qui doit produire, non des reitres ni des esthètes, mais de sages et valeureux gardiens : la cité ne sera sûre de son salut que si elle trouve, pour former sa jeu-