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LA RÉPUBLIQUE

Il le faut en effet.

Il faut donc les mettre en harmonie l’un avec l’autre. Sans aucun doute.

Et leur harmonie rend l’âme à la fois tempérante et 411courageuse.

Assurément.

Et leur désaccord la rend lâche et brutale.

Oui, certainement.


XVIII  Lors donc qu’un homme laisse la musique l’enchanter au son de la flûte et verser en son âme, par le canal des oreilles comme par un entonnoir, les harmonies suaves, molles et plaintives dont nous parlions tout à l’heure, et qu’il passe toute sa vie à fredonner et à savourer la beauté du chant[1], tout d’abord il adoucit par là l’élément irascible qui se trouve en son âme, bcomme le feu amollit le fer, et il perd la rudesse qui le rendait inutile auparavant ; mais s’il continue à s’adonner à la musique et à ses ravissements, son courage ne tarde pas à se dissoudre et à se fondre, jusqu’à ce qu’il soit entièrement dissipé, que son âme ait perdu tout ressort, et qu’il ne soit plus qu’un « guerrier sans vigueur[2] ».

C’est bien ainsi que les choses se passent, dit-il.

Et si, repris-je, la nature l’a doué à sa naissance d’une âme molle, cet effet ne se fait pas attendre ; si au contraire elle l’a doué d’une âme courageuse, son cœur est bientôt énervé, impressionnable, cprompt à s’emporter et à s’apaiser pour des riens ; de courageux qu’il était, il est devenu violent, irascible, atrabilaire.

C’est vrai.

Si au rebours il s’adonne assidûment à la gymnastique et à la bonne chère, sans se soucier de la musique et de la phi-

  1. Il est infiniment regrettable qu’il nous reste si peu de chose de la musique grecque. Telle qu’elle était, elle était écoutée avec ravissement par des gens qui avaient reçu une éducation musicale complète et qui devaient être aussi finement doués pour cet art que pour les autres. On sait que plusieurs Athéniens, prisonniers en Sicile, gagnèrent leur liberté en chantant des airs d’Euripide. À en juger par ce passage de Platon, les mélomanes ne devaient pas manquer à Athènes.
  2. Le mot est appliqué à Ménélas, Iliade, XVII. 588.