Page:Platon - Théétète. Parménide, trad. Chambry.djvu/105

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érations ? Dirons-nous que les opinions des hommes sont toujours vraies, ou qu’elles sont, tantôt vraies, tantôt fausses ? De l’une et l’autre possibilité il résulte bien qu’elles ne sont pas toujours vraies, mais qu’elles sont vraies ou fausses. Réfléchis, en effet, Théodore : aucun partisan de Protagoras voudrait-il, et voudrais-tu toi-même soutenir que personne ne pense d’un autre homme qu’il est ignorant et qu’il a des opinions fausses ?

THÉODORE

C’est une chose incroyable, Socrate.

SOCRATE

C’est pourtant l’inévitable conclusion où conduit la thèse que l’homme est la mesure de toutes choses.

THÉODORE

Comment cela ?

SOCRATE

Lorsque tu as formé par-devers toi un jugement sur quelque objet et que tu me fais part de ton opinion sur cet objet, je veux bien admettre, suivant la thèse de Protagoras, qu’elle est vraie pour toi ; mais nous est-il défendu, à nous autres, d’être juges de ton jugement, ou jugerons-nous toujours que tes opinions sont vraies ? Chacune d’elles ne rencontre-t-elle pas, au contraire, des milliers d’adversaires d’opinion opposée, qui sont persuadés que tu juges et penses faux ?

THÉODORE

Si, par Zeus, Socrate : j’ai vraiment, comme dit Homère[1], des myriades d’adversaires, qui me causent tous les embarras du monde.

SOCRATE

Alors veux-tu que nous disions que tu as des opinions vraies pour toi-même, et fausses pour ces myriades ?

THÉODORE

Il semble bien que ce soit une conséquence inéluctable de la doctrine.

SOCRATE

Et à l’égard de Protagoras lui-même ? Suppose qu’il n’ait pas cru lui-même que l’homme est la mesure de toutes choses, et que le grand nombre ne le croie pas non plus, comme, en effet, il ne le croit pas, ne serait-ce

  1. Odyssée, XVI, 121.