Page:Plaute - Comédies, traduction Sommer, 1876, tome 1.djvu/232

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HÉGION, à Aristophonte. Suis-moi. Tiens, le voici. Avance, et parle-lui.

TYNDARE, tournant le dos à Aristophonte. Est-il un homme plus misérable que moi ?

ARISTOPHONTE. Qu’est-ce, Tyndare ? et pourquoi éviter mes regards ? Pourquoi te détourner de moi comme d’un inconnu que tu n’aurais jamais vu ? Je suis esclave comme toi ; mais dans ma patrie j’étais un homme libre, tandis que tu as été en servitude depuis le jour de ta naissance.

HÉGION. Par ma foi, je ne m’étonne pas qu’il se dérobe à ta vue et qu’il t’accueille avec froideur, quand tu l’appelles Tyndare au lieu de Philocrate.

TYNDARE. Hégion, cet homme passe en Élide pour un fou furieux. Gardez-vous de prêter l’oreille à ses discours. Il a poursuivi son père et sa mère une pique à la main. Il est sujet à des accès d’un mal dont on se préserve en crachant[1]. Éloignez-vous de lui.

HÉGION. Qu’on le fasse retirer.

ARISTOPHONTE. Comment, fripon ! je suis un fou furieux ! j’ai poursuivi mon père une pique à la main ! je suis sujet à un mal qui fait cracher ceux qui me rencontrent !

HÉGION. Ne sois pas honteux pour cela ; beaucoup de gens sont en proie à ce mal, et, en crachant sur eux, on les soulage, on les guérit de leurs souffrances.

ARISTOPHONTE. Eh quoi ! vous croyez ce qu’il dit ?

HÉGION. Qu’est-ce que je crois ?

ARISTOPHONTE. Que je suis fou.

TYNDARE, à Hégion. Voyez de quel œil méchant il vous regarde. Éloignez-vous, c’est le plus sûr. Voici ce que je vous ai dit, Hégion ; la rage s’empare de lui : prenez garde.

HÉGION. J’ai reconnu tout de suite qu’il était fou, quand je l’ai entendu t’appeler Tyndare.

TYNDARE. Bien mieux, il lui arrive de ne pas savoir son propre nom et de ne plus se rappeler qui il est.

HÉGION. Il se disait ton ami.

TYNDARE. Bel ami, vraiment ! Alcméon, Oreste et Lycurgue[2] sont autant mes amis que lui.

  1. Chez les anciens, quand on rencontrait un épileptique, on avait soin de cracher pour se préserver de la contagion, et si on crachait sur lui, on croyait le guérir.
  2. Alcméon et Oreste, devenus fous après le meurtre de leurs mères ; Lycurgue, roi de Thrace, rendu fou par Bacchus dont il voulait empêcher le culte.