Page:Plaute - Comédies, traduction Sommer, 1876, tome 1.djvu/240

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cence, provisions, bon vin, large chère et gaieté ! Non, mon parti est pris, je ne veux plus supplier personne : désormais je puis servir un ami et perdre un ennemi. Ce jour heureux m’inonde de la félicité la plus parfaite. Sans qu’il m’en coûte rien en sacrifices[1], je recueille un opulent héritage. Courons chez le bonhomme Hégion ; je lui apporte tout le bonheur qu’il peut demander aux dieux, et même davantage. C’est décidé, je vais faire comme les valets de comédie, je jette mon manteau par-dessus mon épaule, pour être le premier à lui apprendre la nouvelle ; grâce à ce message, je l’espère, ma nourriture est assurée pour le restant de mes jours.


SCÈNE II. — HÉGION, ERGASILE.


HÉGION, sans voir Ergasile. Plus je rumine cette aventure et plus il s’amasse de chagrin dans mon cœur. Avec quelle indignité s’est-on moqué de moi aujourd’hui ! et sans que je m’en sois aperçu ! Quand cela se saura, je deviendrai la fable de la ville. Dès que je mettrai le pied sur la place, on se dira : « Le voilà, ce barbon ridicule qu’on a berné de si belle sorte ! » Mais n’est-ce pas Ergasile que je vois ici près ? Il a retroussé son manteau[2] : quel est son dessein ?

ERGASILE, sans voir Hégion. Allons, Ergasile, à l’œuvre, et sans retard. Qu’on tremble, qu’on frémisse de me barrer le passage, à moins que l’on ne croie avoir assez vécu. Celui qui me retarde aura bien vite le museau par terre.

HÉGION. Notre homme se prépare au pugilat.

ERGASILE. C’est un parti pris. : ainsi, que chacun passe son chemin, et que l’on ne vienne pas sur cette place bavarder de ses affaires. Mon poing est une baliste, mon coude une catapulte, mon épaule un bélier ; si je frappe du genou, on est à bas. Tous ceux que je heurterai n’auront qu’à ramasser leurs dents.

HÉGION. Que signifient ces menaces ? je n’en reviens pas.

ERGASILE. Ah ! je ferai en sorte qu’on se souvienne à jamais de ce jour, de cette place et de moi ; celui qui m’arrête dans ma course arrête sa vie du même coup.

HÉGION. Que peut-il prétendre avec ces grandes menaces ?

  1. Les héritiers étaient obligés à continuer les sacrifices et les offrandes de celui dont ils recueillaient les biens.
  2. Pour courir plus vite.