Page:Plaute - Comédies, traduction Sommer, 1876, tome 2.djvu/299

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les convives pour des bœufs, les bourrent d’herbes, assaisonnent ces herbes avec d’autres herbes, mettent de la coriandre, du fenouil, de l’ail, du persil, ajoutent de l’oseille, du choux, de la poirée, de la blette, délayent une bonne livre de laser, mêlent avec le tout leur infernale moutarde pilée, qui, tandis qu’on la pile, vous fait pleurer les yeux. Qu’ils gardent pour eux leur cuisine. Ils n’assaisonnent pas avec des épices, mais avec des vampires qui rongent les entrailles des convives tout vivants. Voilà pourquoi de notre temps on vit si peu ; on se farcit l’estomac de ces maudites herbes dont le nom seul fait peur et qu’on frémit de manger : les bêtes n’en veulent pas, les hommes les avalent.

BALLION. Et toi, tu as sans doute des recettes divines pour prolonger la vie, puisque tu déblatères si bien contre cette cuisine ?

LE CUISINIER. Vous pouvez le dire hardiment : ils sont capables d’aller jusqu’à deux cents ans, ceux qui mangent des mets de ma main. Quand j’ai mis dans mes casseroles du cicilindre, du sipolindre, de la macis ou de la sancaptis, cela cuit de soi-même. Cela, c’est pour assaisonner le gibier de Neptune ; pour le gibier de terre, je l’apprête avec du cicimandre, de l'happalopside ou de la cataractrie.

BALLION. Que Jupiter et tous les dieux te confondent avec tes assaisonnements et toutes ces menteries.

LE CUISINIER. Laissez-moi donc parler.

BALLION. Parle et va te pendre.

LE CUISINIER. Quand les casseroles bouillent, je les découvre, et le fumet s’envole au ciel à toutes jambes : c’est de ce fumet que Jupiter soupe tous les jours.

BALLION. Du fumet, à toutes jambes !

LE CUISINIER. La langue m’a fourché.

BALLION. Eh bien ?

LE CUISINIER. Je voulais dire à tire-d’ailes.

BALLION. Et quand tu ne vas cuisiner nulle part, de quoi soupe Jupiter ?

LE CUISINIER. Il va coucher sans souper.

BALLION. Va te pendre. Et c’est comme cela que tu crois tirer de moi aujourd’hui tes deux drachmes ?

LE CUISINIER. Je suis un cuisinier très-cher, j’en conviens, mais j’en donne pour l’argent, et l’on voit ce que je sais faire dans les maisons où l’on m’emploie.

BALLION. Oui, pour voler.