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XV
NOTICE SUR PLINE.

intérêt quand on la considère philosophiquement comme une trace des efforts faits par l’esprit humain pour sortir de son enfance, se reconnaître au milieu des substances diverses et de leurs combinaisons, et tirer parti du bon ainsi que combattre le mauvais.

Le style de Pline a des qualités et des défauts. Le premier défaut de Pline, c’est que la diction n’est aucunement appropriée au sujet, et qu’elle n’a point le caractère scientifique. Le style scientifique demande la propriété de l’expression, et s’abstient scrupuleusement de toute figure. Manilius en a très-bien spécifié les conditions quand il a dit :

Ornari res ipsa negat contenta doceri.

Or, c’est à ce précepte que Pline manque complètement ; il est toujours beaucoup plus occupé d’orner la chose que de l’enseigner. La métaphore lui est familière ; mais la métaphore dans le style scientifique prête au contre-sens et aux méprises. Sans doute ce défaut provient de ce que Pline était, à proprement parler, étranger aux matières scientifiques, ignorant l’importance qu’a le choix des mots, et que là le premier devoir est de produire dans l’esprit du lecteur une idée claire et précise. Mais sans doute aussi, destinant son ouvrage au monde et non pas aux savants de profession, il s’est cru dans l’obligation de jeter quelques agréments de style, que lui fournissait sans peine une imagination cultivée. Toutefois cette excuse ne va pas jusqu’à le défendre du reproche de mauvais goût dans des cas comme ceux-ci : en parlant du petit du lièvre, non encore garni de poils, il le dit sans plumes, implume (VIII, 81). Pour lui la suie est la farine des cheminées, farina caminorum (XXVIII, 23) ; il est impossible, on en conviendra, d’être plus malheureux dans le choix de la métaphore. Les pas de vis sont appelés par lui des rides faisant bulles, rugis bullantibus (XVIII, 74). De telles figures, en soi fort mauvaises, deviennent obscures et fatigantes quand il s’agit, par exemple, de la description d’une plante où chaque terme doit être approprié.

À côté de cette recherche dans l’expression, si nuisible au sens, on trouve une négligence qui souvent ne l’est pas moins. Cela se reconnaît surtout dans les passages qu’il traduit des auteurs grecs. Le texte de Pline, pris à part, est obscur et indécis ; il prête à des interprétations diverses, et bien souvent on reste dans l’incertitude sur le véritable sens qu’il y faut attacher. Si alors on prend l’auteur grec et qu’on fasse la comparaison, on reconnaît qu’à la vérité la phrase de Pline renferme ce que renfermait la phrase originale ; mais les termes en sont tels, que la précision et la netteté en ont disparu. Souvent, pour comprendre Pline, il faut savoir d’avance ce qu’il veut dire. C’est le défaut d’un homme qui écrit rapidement, ne se surveille pas assez, et laisse trop à deviner à ses lecteurs.

Signalons ici une particularité qui n’est peut-être pas une faute, mais qui est sans doute un néologisme, et, en tout cas, singulière. On dit aujourd’hui en français par un néologisme aussi, du reste peu digne de louange, les sommités des lettres, à savoir les hommes les plus éminents dans les lettres, les spécialités de la science, à savoir les hommes qui se livrent à une étude spéciale. D’une façon très-semblable, Pline a dit : claritates animalium, les animaux renommés (XXVIII, 24) ; obstetricum nobilitas, les accoucheuses célèbres (XXVIII, 18), etc.

En revanche, l’écrivain exercé et non sans mérite se montre fréquemment dans le cours de ce long ouvrage. Pline ne semble pas avoir éprouvé un moment de fatigue, et toutes les parties en sont également soignées ; partout un travail qui ne manque pas de puissance, fondant les matériaux, les a jetés dans un moule commun. En chaque point la main de l’auteur se reconnaît ; et, quoique le tout soit une compilation, Pline a eu assez de verve et d’originalité pour mettre son empreinte à cette œuvre immense de marqueterie. Ce n’est pas un esprit médiocre qui aurait pu faire passer ainsi un même souffle à travers tant d’éléments empruntés.

Cette même vigueur dans la composition lui a partout rendu facile le travail des transitions. En effet, traitant un pareil sujet d’une façon plus littéraire que scientifique, il ne lui suffisait pas de suivre l’enchaînement didactique des choses, il fallait encore ménager le passage d’un objet à un autre. À cela Pline n’a pas manqué, et en le lisant on considère, non sans quelque plaisir, avec quelle prestesse il saisit toutes les occasions d’amener ce qu’il se propose de dire, afin que, sans secousse, le lecteur change de chapitre et de sujet. Un mot lui sert parfois à cette fin ; et il n’est pas rare que ce mot soit rapide et heureusement choisi.

En cela il est naturellement secondé par la langue latine, dont la concision est si grande. À son tour, Pline tire tout le parti possible de cette qualité ; il ménage les mots avec un soin extrême ; toute redondance est scrupuleusement bannie, et il resserre merveilleusement sa pensée, à tel point que si l’on rencontre quelque mot superflu, on peut soupçonner dans le texte une altération. En son besoin de brièveté, Pline en est venu même à user de la langue latine autrement que n’avaient fait les écrivains de l’âge antérieur et classique, je veux dire un emploi singulier de l’ablatif : à l’aide de ce cas il réunit les membres de phrases, place les idées incidentes, et gagne beaucoup en vitesse d’expression. C’est une véritable économie qu’il fait sur les mots. Cette particularité de l’emploi de l’ablatif vaut la peine, pour ceux qui veulent bien connaître le latin, d’être étudiée avec quelque soin dans Pline.

Pline a répandu dans son livre bon nombre de récits et d’anecdotes ; il les raconte avec esprit, il leur donne du piquant, et là aussi il est bref et rapide, quelquefois même trop bref et trop rapide, pour nous du moins qui ne sommes pas dans la même position que ses lecteurs de Rome. En effet, les anecdotes qu’il rapporte ou étaient puisées dans des livres, ou avaient une assez grande notoriété de son temps. C’est pour cela qu’il les indique seulement ; et en homme de goût, en homme du monde,