Page:Pline l'ancien - Histoire naturelle, Littré, T2 - 1850.djvu/467

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Oui, sans doute, la mollesse a perdu les arts ; et comme les âmes sont sans physionomie, on néglige aussi la représentation des corps. Il en était 3 autrement chez nos ancêtres : on n’étalait dans les atrium ni des statues d’artistes étrangers, ni des bronzes, ni des marbres ; mais des bustes en cire étaient rangés chacun dans une niche particulière, images toujours prêtes à suivre les convois de famille ; et jamais un mort ne manquait d’être accompagné de toutes les générations qui l’avaient précédé. Les titres étaient rattachés par 4 des lignes aux portraits : les tablinum5 (archives) étaient remplis des mémoires et des actes des choses faites en leurs magistratures ; au dehors et autour du seuil étaient d’autres images de ces hommes héroïques6, dans les dépouilles ennemies qui y étaient suspendues, sans qu’il fût permis à un acquéreur de les déplacer ; et les maisons même triomphaient encore après avoir changé de maître. C’était la une stimulation puissante, et les murs reprochaient chaque jour à un possesseur lâche son intrusion dans le triomphe d’autrui. Nous avons de l’orateur Messala un 5 morceau plein d’indignation, où il défendait qu’on mît parmi les images de sa famille les images étrangères des Lévinus. Un motif semblable dicta au vieux Messala ces livres qu’il a composés sur les Familles, lorsque, ayant traversé l’atrium de Scipion Pomponianus, il vit que, grâce à une adoption testamentaire, les Salutions (VII, 10, 4) (tel était7 le surnom) s’étaient, à la honte des Africains, accolés au nom des Scipions. Mais que les Messala me le pardonnent : usurper même par un mensonge les images d’hommes illustres, c’était montrer quelque amour de leurs vertus, et beaucoup plus honnête que de mériter que nul n’ambitionnât la nôtre. Il ne faut pas omettre 6 ici une invention nouvelle : maintenant8 on consacre en or, en argent, ou du moins en bronze, dans les bibliothèques, ceux dont l’esprit immortel parle encore en ces mêmes lieux ; on va même jusqu’à refaire d’idée les images qui n’existant plus ; les regrets prêtent des traits à des figures que la tradition n’a point transmises9, comme il est arrivé pour Homère. C’est, je pense, pour un homme la plus grande preuve du succès, que ce désir général de savoir quels ont été ses traits. L’idée de réunir ces portraits est, à Rome, due à Asinius Pollion, qui le premier, en ouvrant une bibliothèque, fit des beaux génies une propriété publique. Fut-il aussi précédé en cela par les rois d’Alexandrie et de Pergame, qui fondèrent à l’envi des bibliothèques ? c’est ce que je ne saurais dire. Que la passion10 des portraits 7 ait existé jadis, cela est prouvé, et par Atticus l’ami de Cicéron, qui a publié un ouvrage sur cette matière, et par M. Varron, qui eut la très libérale idée d’insérer dans ses livres nombreux, non seulement les noms, mais, à l’aide d’un certain moyen11, les images de sept cents personnages illustres. Varron voulut sauver leurs traits de l’oubli, et empêcher que la durée des siècles ne prévalût contre les hommes. Inventeur d’un bienfait à rendre jaloux même les dieux, non seulement il a donné l’immortalité à ces personnages, mais encore il les a envoyés par toute la terre, afin que partout on pût les croire présents12.

III

III.
1
Ceux à qui Varron a rendu ce service n’appartenaient pas à sa famille. Le premier qui établit l’usage de dédier les écussons des siens en son nom privé, dans un