Page:Pline le Jeune Lettres I Panckoucke 1826.djvu/129

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mens, que sur la constance des saisons et sur la fertilité des terres. Je me souviens toujours qu’Eupolis, dans une de ses comédies, donne cette louange à Périclès :

La douce persuasion
Sur ses lèvres fait sa demeure,
Et dans les cœurs il laisse l’aiguillon,
Tandis qu’un autre à peine les effleure[1].

Mais, sans cette heureuse abondance qui me charme, Périclès eût-il exercé cet empire souverain sur les cœurs, soit par la rapidité, soit par la brièveté de son discours (car il ne faut pas les confondre), ou par toutes les deux ensemble ? Plaire et convaincre, s’insinuer dans les esprits et s’en rendre maître, ce n’est pas l’ouvrage d’une parole et d’un moment : comment y laisser l’aiguillon, si l’on pique sans enfoncer ? Un autre poète comique, parlant du même orateur, dit :

Il tonnait, foudroyait ; il ébranlait la Grèce[2].

Ce n’est pas dans un discours concis et serré, c’est dans un discours étendu, majestueux et sublime, qu’on peut mêler le feu des éclairs aux éclats du tonnerre, et jeter partout le trouble et la confusion. Il y a pourtant une juste mesure, je l’avoue ; mais, à votre avis, celui qui n’atteint pas cette limite, est-il plus estimable que celui qui la passe ? Vaut-il mieux ne pas dire assez, que de trop dire ? Si l’on reproche tous les jours à tel orateur d’être trop abondant et trop fécond, on reproche à tel autre d’être sec et stérile. On dit de celui-là qu’il s’emporte au delà de son sujet ; de celui-ci, qu’il ne peut y atteindre. Tous deux pèchent également ; mais l’un par excès de force, et l’autre par faiblesse. Si cette fécondité

  1. La douce persuasion, etc. Cicéron rappelle ces vers d’Eupolis dans son Brutus, c. 9 : Non ( quemadmodum de Pericle scripsit Eupolis ) cum delectatione aculeos etiam relinqueret in animis eorum, a quibus esset auditus. Il ajoute, c. 15 : Πειζώ quam vocant Grœci, cujus effector est orator, hanc Suadam appellat Ennius, quam deam in Pericli labris scripsit Eupolis sessitavisse.
  2. Il tonnait, foudroyait, etc. La citation grecque est tirée d’Aristophane.