Page:Pline le Jeune Lettres I Panckoucke 1826.djvu/175

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Marius Priscus, proconsul d’Afrique, accusé par les Africains, se bornait à demander des juges ordinaires, sans proposer aucune défense[1]. Cornelius Tacite et moi, chargés par ordre du sénat de la cause de ces peuples, nous crûmes qu’il était de notre devoir de représenter, que l’énormité des crimes imputés à Priscus ne permettait pas de lui accorder sa demande : on l’accusait d’avoir reçu de l’argent pour condamner et faire mourir des innocens. Catius Fronton[2] répondit, en suppliant le sénat de renfermer l’affaire dans l’accusation de péculat, et cet orateur, très-habile à tirer des larmes, fit jouer tous les ressorts de la pitié. Grande contestation, grandes clameurs de part et d’autre ! Selon les uns, la loi assujettit le sénat à juger lui-même ; selon les autres, elle lui laisse la liberté d’en user comme il croit convenir à la qualité des crimes.

Enfin, Julius Ferox, consul désigné, homme droit et intègre, ouvre un troisième avis. Il veut que, par provision, l’on donne des juges à Priscus sur la question de péculat ; et. qu’avant de prononcer sur l’accusation capitale, ceux à qui l’on prétend qu’il a vendu le sang innocent, soient appelés. Non-seulement cet avis l’emporta, mais il n’y en eut presque plus d’autres, après tant de disputes ; et l’on éprouva que, si les premiers mouvemens de la prévention et de la pitié sont vifs et impétueux[3], la sagesse et la raison parviennent peu à peu à les apaiser. De là vient que personne n’a le courage de proposer seul ce qu’il osait soutenir en mêlant ses cris à ceux de la multitude. La vérité que l’on ne pouvait découvrir, tant que l’on était enveloppé dans la foule, se manifeste tout à coup dès que l’on s’en sépare.

  1. Marius Priscus, etc. C’est de ce Marius que Juvénal a dit (sat. 1, vers. 47) : hic damnatus inani Judicio (quid enim salvis infamia nummis ? ), Exsul ab octava Marius bibit, et fruitur dis Iratis ; at tu, victrix provincia, ploras. Il demandait des Juges ordinaires, selon Pline, c’est-à-dire, qu’il voulait être jugé par des magistrats que le préteur aurait désignés, comme dans les affaires communes, et non par les sénateurs assemblés.
  2. Cassius Fronton. Il fut consul avec Trajan.
  3. Et l’on éprouva que, etc. Tous les textes portent, adnotatumque experimentis, et nous avons dû conserver cette leçon. Cependant nous pensons, avec Heusinger, que ces deux mots, inutilesà la phrase, ont été ajoutés par quelques glossateurs, qui applaudissaient à la pensée exprimée par Pline ; on peut remarquer d’ailleurs, qu’en les admettant, il faudrait impetus habeant, et non impetushabent.