Page:Pline le Jeune Lettres I Panckoucke 1826.djvu/325

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Ces jours passés, devant une nombreuse assemblée, il lut la vie de son fils, la vie d’un enfant. Peu content d’en avoir répandu mille copies dans l’Italie et dans toutes les provinces de l’empire, il a, par une espèce de lettre circulaire, invité la plupart des villes à faire choisir par leurs décurions le lecteur le plus habile, pour lire ce livre au peuple : on l’a fait. Que ne pouvait-on pas attendre d’un tel homme, s’il eût tourné vers de dignes objets cette énergie, ou, si vous l’aimez mieux, cette ardeur opiniâtre pour tout ce qu’il désire ? Au reste, les méchans ont toujours plus d’énergie que les bons : comme la hardiesse nait de l’ignorance, et la timidité, du savoir[1], aussi l’honnête homme perd de ses avantages par la modestie, tandis que le scélérat trouve de nouvelles forces dans son audace. Regulus en est un exemple. Il a la poitrine faible, l’air embarrassé, la langue épaisse, l’imagination paresseuse, une mémoire très-peu fidèle ; enfin, il n’a pour tout mérite qu’un esprit extravagant. Cependant, sans autre secours que son extravagance et son effronterie, il s’est acquis auprès de bien des gens la réputation d’orateur. C’est donc très-heureusement qu’Herennius Sénécion, renversant la définition de l’orateur que Caton nous a laissée, l’applique à Regulus et dit : L’orateur est un méchant homme , qui ignore l’art de parler. En vérité, Caton n’a pas mieux défini son parfait orateur, que Sénécion n’a caractérisé Regulus.

Avez-vous de quoi payer cette lettre en même monnaie ? Je vous tiendrai quitte, si vous me pouvez mander que cette complainte de Regulus a été lue dans votre ville par quelqu’un de mes amis, ou par vous-même, monté, comme un charlatan, sur deux tréteaux, dans la place publique ; que vous avez fait cette lecture à haute voix,

  1. La hardiesse naît de l’ignorance, etc. Phrase grecque empruntée à Thucydide [In serm. epitaph. , 11, 40).