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SIXIÈME ENNÉADE.

désir. Peut-être Platon avait-Il encore un autre motif, et a-t-il fait consister le bien dans un mélange parce qu’il pensait qu’ayant une pareille nature le bien est nécessairement plein de charme, désirable pour celui qui le cherche, et plein de charme pour celui qui l’a trouvé ; d’où il résulte que celui qui n’est point charmé n’a point trouvé le bien, et que, si celui qui désire n’est pas joyeux, c’est qu’il ne jouit pas encore du bien. Ce n’est pas sans raison que Platon s’est formé cette conception du bien : car il ne cherchait point là à déterminer le Bien par excellence, mais le bien de l’homme ; or ce bien appartient à un être différent du Bien et est autre que lui ; il est d’ailleurs défectueux et paraît composé. C’est pourquoi [selon Platon] ce qui est seul et unique n’a aucun bien, mais est bon dans un autre sens et d’une manière plus relevée.

Il faut donc que le bien soit désirable ; mais ce n’est pas parce qu’il est désirable qu’il est le bien, c’est parce qu’il est le bien qu’il est désirable[1]. Ainsi, dans l’ordre des êtres, en remontant du dernier au premier, on trouve que le bien de chacun d’eux est dans celui qui le précède immédiatement, pourvu que dans cette marche ascendante on ne s’écarte pas de la proportion et que l’on aille toujours en augmentant[2]. Alors on s’arrêtera à Celui qui occupe le rang suprême, au delà duquel il n’y a plus rien à chercher. C’est le premier, le véritable, le souverain Bien, l’auteur de toute bonté dans les autres êtres. Le bien de la matière, c’est la forme : car la matière la recevrait avec plaisir si elle devenait sensible. Le bien du corps, c’est l’âme : car sans elle il ne

  1. Aristote dit également : « L’objet du désir, c’est ce qui paraît beau, et l’objet premier de la volonté, c’est ce qui est beau. Nous désirons une chose parce qu’elle nous semble bonne, plutôt qu’elle ne nous semble telle parce que nous la désirons. » (Aristote, Métaphysique, liv. xii, chap. 7 ; trad. de MM. Pierron et Zévort, t. II, p. 221.)
  2. Cette gradation est conforme à la marche que suit Aristote dans le livre XII de sa Métaphysique pour s’élever progressivement au premier principe, au souverain Bien.