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TROISIÈME ENNÉADE.

par exemple, un paysan qui parle mal : ce serait détruire la beauté de la composition que de retrancher ces personnages inférieurs et toutes les parties où ils figurent[1].

XII. Puisque c’est la Raison [du monde] qui a produit toutes choses en s’alliant à la matière[2] et en conservant sa nature propre, qui est d’être composée de parties différentes, et d’être déterminée par le principe dont elle procède [c’est-à-dire par l’Intelligence], l’œuvre que la Raison a produite dans ces conditions ne saurait être surpassée en beauté. En effet, la Raison [du monde] ne pouvait être composée de parties homogènes et semblables ; il ne faut donc pas l’accuser parce qu’elle est toutes choses et que chacune de ses parties diffère des autres[3]. Si elle avait introduit dans le monde des choses qu’elle ne renfermât pas auparavant dans son sein, des âmes par exemple, qu’elle les eût forcées d’entrer dans l’ordre du monde sans tenir compte de leur nature et qu’elle eût fait déchoir beaucoup d’entre elles, elle serait certainement blâmable. Aussi faut-il admettre que les âmes sont des parties de la Raison et que celle-ci les met en harmonie avec le monde sans les faire déchoir, en assignant à chacune d’elles la place qui lui convient[4].

  1. Chrysippe disait : « Comme les comédies ont quelquefois des vers ridicules et des plaisanteries qui ne valent rien en elles-mêmes, et qui néanmoins donnent quelque grâce de plus au poëme ; de même le vice est certainement condamnable en lui-même, mais il n’est pas inutile relativement au reste des choses. » (Plutarque, De Commun. notit. adv. Stoïcos, 13.) La même pensée se trouve aussi dans S. Augustin : « Solœcismos et barbarismos quos vocant, poetæ adamaverunt, quæ schemata et metaplasmos mutatis appellare nominibus quam manifesta vitia fugere maluerunt. Detrahe tamen ista carminibus, suavissima condimenta desiderabimus. » (De Ordine, II, 4.)
  2. Voy. t. I, p. 190 : « Toutes les choses forment un ensemble harmonieux parce qu’elles proviennent tout à la fois de la matière et des raisons qui les engendrent. »
  3. Voy. ci-après, § 16.
  4. « Nec tibi occurrerit perfecta universitas, nisi ubi majora sie præsto sunt, ut minora non desint :