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TROISIÈME ENNÉADE.


est une hypostase et une essence, qui est sans doute inférieure à l’essence dont elle émane [c’est-à-dire à Vénus Uranie ou à l’Âme céleste], mais qui cependant existe en même temps. En effet, l’Âme céleste est une essence née de l’acte qui lui est supérieur [de l’Essence première], une essence vivante, émanée de l’Essence première, et attachée à la contemplation de cette Essence. Elle y trouve le premier objet de sa contemplation, elle y attache ses regards comme à son bien, et trouve dans cette vue une source de plaisir. L’objet qu’elle voit attire son attention, de telle sorte que, par le plaisir qu’elle éprouve, par l’ardeur et l’application qu’elle met à contempler son objet, elle engendre elle-même quelque chose de digne d’elle et du spectacle dont elle jouit. Ainsi, de l’attention avec laquelle l’Âme s’applique à contempler son objet et de l’émanation même de cet objet naît l’Amour, œil plein de l’objet qu’il contemple, vision unie à l’image qu’elle se forme. Aussi l’Amour (Ἔρως) semble devoir son nom à ce qu’il tient son existence de la vision (ὁρασις)[1]. L’amour, même considéré comme passion, doit son nom au même fait[2] : car l’Amour qui est une essence est antérieur à l’amour qui n’est pas une essence. Quoique l’on dise de la passion qu’elle consiste à aimer, elle est cependant l’amour de tel objet, elle n’est pas l’Amour en prenant ce mot dans un sens absolu.

Tel est l’Amour qui est propre à la partie supérieure de l’Âme [à l’Âme céleste]. Il contemple le monde intelligible avec elle, parce qu’il en est en quelque sorte le compagnon,

  1. Cette étymologie inadmissible du mot ἔρως semble cependant moins arbitraire que celle que Platon en donne : « L’amour s’appelle ἔρως parce que son cours n’a pas son origine dans celui qui l’éprouve, mais qu’il vient du dehors en s’introduisant par les yeux ; par cette raison on l’appelait jadis ἔσρος, de ἐσρεῖν, couler dans : car l’ο se prononçait bref ; en le faisant long, nous avons aujourd’hui ἔρως. » (Cratyle, p. 420 ; t. XI, p. 102, trad. fr.)
  2. Nous lisons ἐπωνυμίαν. avec MM. Creuzer et Kirchhoff, au lieu d’ἐπιθυμίαν.