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LIVRE CINQUIÈME.


[l’Amour], elle n’est pas pure, puisqu’elle renferme en elle-même un désir indéterminé, irraisonnable, indéfini ; or elle ne saurait être satisfaite tant qu’elle aura en elle-même la nature de l’indétermination. Elle dépend de l’âme, qui est son principe générateur : elle est un mélange constitué par une raison qui, au lieu de rester en elle-même, se mêle à l’indétermination. Au reste ce n’est pas la raison même, c’est son émanation qui se mêle à l’indétermination.

L’amour est donc semblable à un taon (οἷον οἶστρος)[1] ; indigent de sa nature, il reste toujours indigent, quelque chose qu’il obtienne ; il ne saurait être rassasié, parce qu’un être mixte ne saurait être rassasié : car nul être ne peut être réellement rassasié s’il n’est par sa nature capable d’atteindre la plénitude ; quant à celui que sa nature porte à désirer, il ne peut rien retenir, fût-il même rassasié un moment. Il en résulte que d’un côté l’Amour est dénué de ressources[2] à

  1. On sait que cette expression est souvent employée par les Platoniciens. Voy. le Lexicon platonicum de Timée le grammairien au mot οἰστρά.
  2. Il y a dans le texte de Creuzer εὐμήχανον, mot qui ne forme pas un sens satisfaisant, puisqu’il n’est pas opposé à ποριστιϰόν. Nous lisons donc avec M. Kirchhoff ἀμήχανον, correction qui met le texte de Plotin parfaitement d’accord avec celui de Platon : Comme fils de Poros et de Penia, voici quel fut le partage de l’Amour. D’un côté, il est toujours pauvre, et non pas délicat et beau comme la plupart des gens se l’imaginent, mais maigre, défait, sans chaussure, sans domicile, point d’autre lit que la terre, point de couverture, couchant à la belle étoile auprès des portes et dans les rues, enfin, en digne fils de sa mère, toujours misérable. D’un autre côté, suivant le naturel de son père, il est toujours à la piste de ce qui est beau et bon ; il est mâle, entreprenant, robuste, chasseur habile, sans cesse combinant quelque artifice, jaloux de savoir et mettant tout en œuvre pour y parvenir, passant toute sa vie à philosopher, enchanteur, magicien, sophiste… Tout ce qu’il acquiert lui échappe sans cesse ; de sorte que l’Amour n’est jamais ni absolument opulent, ni absolument misérable. » (Banquet, p. 203 ; t. VI, p. 300, trad. de M. Cousin.)