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TROISIÈME ENNÉADE.


qui constituent des simulacres dans un simulacre. Elle ressemble à un miroir dans lequel on voit les apparences d’objets placés hors de lui[1], qui semble être rempli et posséder tout quoiqu’il ne possède réellement rien.

La matière est ainsi une image sans forme, dans laquelle entrent et de laquelle sortent les images des êtres. Celles-ci y apparaissent précisément parce que la matière n’a pas de forme ; elles semblent y produire quelque chose, mais n’y produisent réellement rien[2]. Elles n’ont pas de consistance, de force, ni de solidité : la matière n’en ayant pas non plus, elles la pénètrent sans la diviser, comme elles pénétreraient de l’eau, ou bien encore comme des formes pourraient se mouvoir dans le vide. Si les images qui apparaissent dans la matière avaient la même nature que les objets qu’elles représentent et dont elles émanent, alors, attribuant aux images un peu de la puissance des objets qui les envoient, on aurait raison de les croire capables de faire pâtir la matière. Mais, comme les choses qu’on voit dans la matière n’ont pas la même nature que les objets dont elles sont les images, il est faux que la matière pâtisse en les recevant : car ce sont de fausses apparences sans aucune ressemblance avec ce qui les produit. Faibles et fausses par elles-mêmes, elles viennent dans une chose qui est également fausse[3]. Elles doivent donc la laisser impassible comme un miroir[4], comme de l’eau, ne

  1. Dans la traduction de Porphyre (t. I, p. LXI, ligne 10), au lieu des mots : « c’est un miroir dans lequel les objets présentent des apparences diverses selon leurs positions, » lisez : « c’est un miroir dans lequel on voit les apparences d’objets placés hors de lui. »
  2. Voy. le passage de Platon que nous avons cité dans le tome I, p. 206, note 2.
  3. Voy. Enn. II, liv. V, § 5 ; t. I, p. 233.
  4. Ibn-Gebirol, que nous avons déjà cité ci-dessus (p. 141, note 1), a reproduit cette comparaison : « On peut comparer l’impression que la forme fait sur la matière, lorsqu’elle lui survient de la part de la Volonté divine, à l’impression que fait sur le miroir celui qui le regarde : car, selon cette comparaison, la matière reçoit la forme de la Volonté comme le miroir reçoit l’image de celui qui y regarde, sans que la matière reçoive l’essence même de ce dont elle reçoit la forme. » (La Source de la Vie, liv. V, p. 139, trad. de M. Munk.)