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LIVRE SIXIÈME.


tera plus en lui, ne sera plus incorruptible. Or, s’il faut admettre que la matière reste toujours ce qu’elle était dès l’origine, c’est-à-dire matière, soutenir qu’elle est altérée, c’est ne plus conserver la matière même. D’ailleurs, si tout ce qui est altéré doit rester immuable dans son espèce et n’être altéré que dans ses accidents sans l’être en soi-même, en un mot, si ce qui est altéré doit être permanent, et si ce qui est permanent n’est pas ce qui pâtit, de deux choses l’une : ou la matière est altérée et s’écarte de sa nature, ou bien elle ne s’écarte pas de sa nature et elle n’est pas altérée. Si l’on dit que la matière est altérée, mais non en tant que matière, d’abord on ne saura dire en quoi elle est altérée, ensuite on sera par cela même obligé d’avouer qu’elle n’est pas altérée. En effet, de même que les autres choses, qui sont des formes, ne peuvent être altérées dans leur essence, parce que c’est cette inaltérabilité même qui constitue leur essence ; de même, l’essence de la matière étant d’être en tant que matière, elle ne peut être altérée en tant que matière, et elle est nécessairement permanente sous ce rapport. Donc, si la forme est inaltérable, la matière doit être également inaltérable.

XI. C’était sans doute la pensée que Platon avait présente à l’esprit quand il a dit avec justesse : « Ces imitations des êtres éternels qui entrent dans la matière et qui en sortent[1]. » Ce n’est pas sans raison qu’il a employé ces expressions entrer, sortir ; il a voulu que nous examinassions avec attention comment s’opère la participation de la matière aux idées. Quand Platon cherche ainsi à établir comment la matière participe aux idées, il a pour but de faire voir, non de quelle manière les idées entrent dans la matière, ainsi que beaucoup l’ont cru avant nous, mais de quelle manière elles y sont. Sans doute, il semble étonnant que la matière reste impassible à l’égard.des idées qui y sont

  1. Voy. Platon, Timée, p. 50 ; trad. de M. H. Martin, p. 136.