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LIVRE QUATRIÈME.

que la totalité des intelligibles unis ensemble ne soit saisie par une intuition également une et totale. — Cette intuition est-elle semblable à l’intuition d’un objet aperçu d’un seul coup d’œil dans son ensemble, ou comprend-elle toutes les pensées des intelligibles contemplés à la fois ? — Puisque les intelligibles offrent un spectacle varié, la pensée qui les saisit doit évidemment être également multiple et variée[1], comprendre plusieurs pensées, comme la perception d’un seul objet sensible, d’un visage, par exemple, comprend plusieurs perceptions, parce que l’œil, en apercevant le visage, voit en même temps le nez et les autres parties.

Mais [dira-t-on] il arrive que l’âme divise et développe une chose qui était unique. Nous répondrons que cette chose est déjà divisée dans l’intelligence, qu’elle y a comme un fondement particulier, mais que, s’il y a antériorité et postériorité dans les idées, cette antériorité et cette postériorité ne se rapportent cependant pas au temps. Si la pensée arrive à distinguer l’antérieur et le postérieur, ce n’est pas sous le rapport du temps, mais sous le rapport de l’ordre [qui préside aux choses intelligibles] : ainsi, quand on considère dans une plante l’ordre qui s’étend des racines au sommet, il n’y a antériorité et postériorité que sous le rapport de l’ordre, puisqu’on aperçoit la plante entière d’un seul coup d’œil[2].

Mais [dira-t-on encore], quand l’âme contemple l’Un, si elle embrasse plusieurs choses ou plutôt toutes choses, comment se peut-il que l’une soit antérieure, l’autre postérieure ? — C’est que la puissance qui est une [l’Un] est une de telle sorte qu’elle est multiple quand elle est con-

  1. Platon dit dans le Timée (p. 30 ; p. 89 de la trad. de M. H. Martin) : « Ce modèle contient et comprend en lui-même tous les animaux intelligibles, de même que dans ce monde-ci nous sommes renfermés nous-mêmes ainsi que tous les animaux produits et visibles. » Voy. aussi Enn. V, liv. iii, § 5.
  2. Voy. ci-après, § 12, p. 352.