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LIVRE QUATRIÈME.


Puisque nous regardons chaque astre comme un animal, pourquoi ne regarderions-nous pas aussi comme un animal la Terre, qui est une partie de l’Animal universel ? On ne saurait admettre en effet qu’elle soit contenue extérieurement par une âme étrangère, qu’elle n’ait point d’âme intérieurement comme si elle était seule incapable d’avoir une âme en propre. Pourquoi les corps de feu [les astres] seraient-ils animés et un corps de terre ne le serait-il pas ? En effet, ce qui est de feu et ce qui est de terre est également corps. Il n’y a pas plus dans les astres que dans la Terre de nez, de chair, de sang, d’humeurs, quoiqu’elle soit plus variée que les astres et qu’elle se trouve composée de tous les corps. Si l’on affirme qu’elle est incapable de se mouvoir, on ne peut le dire que sous le rapport du mouvement local. [Car elle est capable de se mouvoir sous ce rapport qu’elle peut sentir[1].]

Mais comment peut-elle sentir [demandera-t-on] ? — Comment peuvent sentir les astres [demanderons-nous à notre tour] ? Ce ne sont pas les chairs qui sentent ; il n’est pas nécessaire à l’âme d’avoir un corps pour sentir ; mais le corps a besoin de l’âme pour se conserver. Comme l’âme possède le jugement, elle a la faculté de juger les passions du corps quand elle y applique son attention.

Mais [demandera-t-on encore] quelles sont les passions qui sont propres à la Terre et qui peuvent être pour son âme des objets de jugement ? D’ailleurs [ajoutera-t-on], les plantes, considérées dans l’élément terrestre qui les constitue, ne sentent pas.

Examinons donc à quels êtres appartient la sensation, et par quoi elle s’opère. Voyons si la sensation peut avoir lieu même sans organes. Déterminons à quoi la sensation peut servir à la Terre, puisqu’elle ne lui sert pas à connaître : car la connaissance qui consiste dans la sagesse suffit aux êtres

  1. Voy. ci-après § 26, p. 370, note.