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LIVRE QUATRIÈME.


Il est impossible qu’en restant pure l’âme devienne semblable aux objets sensibles [par conséquent qu’elle les saisisse]. Comment en effet le point pourrait-il devenir semblable à la ligne ? La ligne intelligible elle-même ne saurait devenir conforme à la ligne sensible, non plus que le feu intelligible au feu sensible, l’homme intelligible à l’homme sensible. La nature même qui engendre l’homme ne saurait être identique à l’homme engendré. L’âme isolée, pût-elle saisir les objets sensibles, finira par s’appliquer à l’intuition des objets intelligibles, parce que, n’ayant rien pour saisir les premiers, elle les laissera échapper. En effet, quand l’âme aperçoit de loin un objet visible, quoique ce soit la forme seule qui parvienne jusqu’à elle, cependant ce qui a commencé par être pour elle comme indivisible finit par constituer un sujet, soit couleur, soit figure, dont l’âme détermine la quantité.

Il ne suffit donc pas qu’il y ait l’âme et l’objet extérieur pour que la sensation soit possible] : car il n’y aurait là rien qui pâtit ; il doit y avoir un troisième terme qui pâtisse, c’est-à-dire qui reçoive la forme sensible (μορφή) ; il faut que ce troisième terme partage la passion de l’objet extérieur (συμπαθὲς), qu’il éprouve la même passion (ὁμοιοπαθὲς), qu’il soit de la même matière, et, d’un autre côté, que sa passion soit connue par un autre principe[1] ; il faut enfin

  1. « Les sensations se font dans notre âme en présence de certains corps que nous appelons objets… Afin qu’elles se forment dans notre âme, il faut que l’organe corporel soit actuellement frappé de l’objet et en reçoive l’impression… Nous pouvons donc définir la sensation, si toutefois une chose si intelligible de soi a besoin d’être définie, nous la pouvons, dis-je, définir : la première perception qui se fait en notre âme en la présence des corps, que nous appelons objets, et ensuite de l’impression qu’ils font sur les organes de nos sens… Or, encore que nous ne puissions entendre les sensations sans les corps qui sont leurs objets, et sans les parties de nos corps qui servent d’organes pour les exercer,