Page:Plotin - Ennéades, t. II.djvu/417

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
367
LIVRE QUATRIÈME.


l’objet perçu soit en contact avec l’organe, ou si la sensation peut avoir lieu loin de l’objet sensible au moyen d’un intermédiaire : c’est le cas où du feu, par exemple, se trouve placé loin de notre corps, sans que le milieu pâtisse en aucune façon ; c’est encore le cas où, un vide se trouvant servir de milieu entre l’œil et la couleur, on peut se demander s’il suffit, pour voir, de posséder la puissance propre à l’organe[1]. Nous venons d’ailleurs d’établir que la sensation n’appartient qu’à l’âme qui se trouve dans le corps et qu’elle suppose des organes.

XXIV. Examinons maintenant si les sens nous sont donnés seulement dans un but d’utilité.

Si l’âme était séparée du corps, elle ne sentirait pas ; elle ne sent que lorsqu’elle est unie à un corps : c’est par le corps et pour lui qu’elle sent ; c’est de son commerce avec lui que résulte la sensation, soit que toute passion doive, quand elle est vive, arriver jusqu’à l’âme, soit que les sens aient été faits afin que nous prenions garde à ce qu’aucun objet n’approche trop de nous ou n’exerce sur nos organes une action assez forte pour les détruire. S’il en est ainsi, les sens ont été donnés dans un but d’utilité : car, s’ils servent aussi à acquérir des connaissances, ce n’est pas à l’être qui sait, mais à celui qui a besoin d’apprendre parce qu’il a le malheur d’être ignorant, ou de se souvenir parce qu’il est sujet à oublier ; on ne les trouve donc pas chez l’être qui n’a pas besoin d’apprendre et qui n’oublie pas[2].

  1. Voy. ci-après le livre V entier.
  2. Les sensations provoquées par les objets extérieurs, dans ceux des animaux qui sont doués de mouvement, et, par exemple, celles de l’odorat, de l’ouïe et de la vue, sont données à tous ceux qui en jouissent pour assurer leur conservation. Grâce à elles, après avoir senti préalablement leur nourriture, ils la recherchent ; et ils fuient ce qui leur semble mauvais et dangereux. Mais dans les animaux qui sont doués en outre de la réflexion, ces facultés ont pour but d’assurer leur bien-être ; elles leur apprennent à distinguer