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LIVRE SIXIÈME.


l’on dit avec raison que nous ne pouvons discerner un objet placé sur notre pupille, tandis que nous le voyons s’il est éloigné, cette assertion s’applique à l’âme avec plus de vérité encore. Si nous plaçons en elle l’image de l’objet visible, elle ne verra pas l’objet qui lui donne cette image. Il faut en effet qu’il y ait deux choses, l’objet qui est vu et le sujet qui voit : par conséquent, le sujet qui voit l’objet visible doit en être distinct et le voir placé ailleurs qu’en lui-même[1]. Ainsi, l’acte de la vision a pour condition, non que l’image de l’objet soit placée dans l’âme, mais plutôt qu’elle n’y soit pas placée.

II. Si la sensation ne s’opère pas ainsi, comment a-t-elle lieu ? L’âme peut-elle juger les choses qu’elle ne possède pas ? — Sans doute : c’est le propre de la puissance, non d’éprouver, de pâtir, mais de déployer sa force, de remplir la fonction à laquelle elle est destinée. Pour que l’âme discerne l’objet visible ou l’objet sonore, il faut qu’ils ne soient point des images ni des passions, mais des actes relatifs aux objets qui sont naturellement de leur domaine[2]. Cependant, en ne voulant pas croire que chaque faculté puisse connaître son objet sans en recevoir une impulsion (πληγή), nous la ferions pâtir, nous ne lui ferions pas connaître l’objet placé devant elle : car c’est elle qui doit dominer l’objet au lieu d’être dominée par lui.

Il en est pour l’ouïe de même que pour la vue. L’empreinte

  1. « Quum igitur aliquod corpus videmus, hæc tria, quod facillimum est, consideranda sunt et dignoscenda : primo, ipsa res quam videmus, sive lapidem, sive aliquam flammam, sive quid aliud quod videri oculis potest, quod utique jam esse poterat et antequum videretur ; deinde visio, quæ non erat priusquam rem illam objectam sensui sentiremus ; tertio, quod in ea re quæ videtur, quamdiu videtur, sensum detinet oculorum, id est animi intentio. In his igitur tribus, non solum est manifesta distinctio, sed etiam discreta natura, etc. » (S. Augustin, De Trinitate, XI, 2.)
  2. Voy. ci-dessus, p. 129 et p. 319.