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QUATRIÈME ENNÉADE.


elle possède le corps de l’univers, qui n’a nul défaut, nul besoin, qui ne peut lui causer ni craintes ni désirs, parce qu’elle n’a rien à redouter pour lui. Ainsi, jamais aucun souci ne la force de s’abaisser aux objets terrestres, de se détourner de son heureuse et sublime contemplation : tout entière aux choses divines, elle gouverne le monde par une seule puissance, dont l’exercice n’entraîne aucune sollicitude[1].

III. Passons maintenant à l’âme humaine qui, dit-on[2], endure mille maux dans le corps, y mène une vie misérable, en proie aux chagrins, aux désirs, aux craintes, à toute espèce de souffrances, pour qui le corps est un tombeau, et le monde sensible une caverne, un antre. Cette différence d’opinions au sujet de l’Âme universelle et de l’âme humaine n’a rien qui soit contradictoire, parce que ces deux âmes n’ont pas les mêmes raisons de descendre dans un corps. D’abord, le lieu de la pensée (τῆς νοήσεως τὸπος), que nous appelons le monde intelligible[3], contient non-seulement l’Intelligence universelle tout entière, mais encore les puissances intellectuelles et les intelligences particulières comprises dans l’Intelligence universelle, puisqu’il n’y a pas seulement une Intelligence une, mais à la fois une Intelligence une et une pluralité d’intelligences (εἶς ϰαὶ πολλοί) ; par suite il devait y avoir également une Âme une et une pluralité d’âmes, et il fallait que de l’Âme qui est une naquit la pluralité des âmes particulières et différentes, comme d’un seul et même genre proviennent des espèces qui sont

  1. Ce passage est cité par le P. Thomassin, qui le commente en ces termes : « Longe aliter ergo corpori imperat anima vel universi, vel quæcunque illius quasi collega, necdum insano sui et particularis boni amore dementata, necdum a communibus et ab universali providentia ad privata et ad partis alicujus anxias curas ablegata. Ligat enim sibi corpus, non se illi ; in illud agit, nihil ab illo patitur, etc. » (Dogmata theologica, t. I, p. 329.)
  2. Voy. ci-dessus, § 1, p. 478.
  3. Voy. ci-dessus, p. 260.