Page:Plotin - Ennéades, t. II.djvu/536

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
486
QUATRIÈME ENNÉADE.


S’étant donc séparée de l’Âme universelle ainsi que des autres âmes qui restent unies à celle-ci, s’étant attachée à un corps individuel, et concentrant son attention uniquement sur cet objet, qui est soumis à l’action destructive de tous les autres êtres, elle cesse de gouverner le Tout pour administrer avec sollicitude une partie, dont le soin l’oblige à s’occuper et à se mêler des choses extérieures, à n’être pas seulement présente dans le corps, mais encore à y pénétrer profondément.

Alors, comme on le dit, elle a perdu ses ailes, elle est enchaînée dans les liens du corps[1], parce qu’elle a renoncé à l’existence calme dont elle jouissait en partageant avec l’Âme universelle l’administration du monde : car elle menait une vie bien meilleure quand elle était là-haut. L’âme tombée est donc enchaînée, emprisonnée, obligée d’avoir recours aux sens parce qu’elle ne peut d’abord faire usage de l’intelligence ; elle est ensevelie, comme on le dit, dans un tombeau, dans une caverne[2]. Mais, par sa conversion vers la pensée, elle brise ses chaînes, elle remonte aux régions supérieures, quand elle part des données de la réminiscence pour s’élever à la contemplation des essences[3] : car elle garde toujours, même après sa chute, quelque chose de supérieur au corps.

Les âmes ont ainsi une double vie, puisqu’elles vivent tour à tour dans le monde intelligible et dans le monde sensible, plus longtemps dans le monde intelligible quand elles peuvent rester unies à l’Intelligence suprême d’une manière durable, plus longtemps ici-bas, quand leur nature ou quand le sort leur impose une destinée contraire. C’est là le sens caché qu’ont les paroles de Platon, quand il dit que Dieu divise les semences des âmes formées par un second mélange dans le cratère, et qu’il en fait des parties ;

  1. Voy. ci-dessus, p. 479.
  2. Voy. ci-dessus, p.478.
  3. Voy. Platon, Phèdre, p. 249, et Phédon, p. 72.