Page:Plutarque - Œuvres complètes de Plutarque - Œuvres morales et œuvres diverses, tome 1, 1870.djvu/211

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présentaient leurs membres à tailler ou à cautériser. C'était une flatterie de fait et non de parole : car aux yeux du monarque la confiance qu'ils lui témoignaient était une preuve de son habileté. "La puissance des dieux emprunte bien des formes"; mais ce genre d'éloges dissimulés demande les précautions les plus adroites pour être pris sur le fait. On y parviendra si l'on formule tout exprès devant le flatteur les conseils, les propositions les plus étranges et les corrections les plus déraisonnables. Comme il ne contredit jamais rien, qu'il approuve tout, qu'il accepte tout, et qu'à chaque proposition il s'écrie : «Bien ! Parfait !" on reconnaîtra jusqu'à l'évidence "Qu'en feignant de vouloir prendre le mot du guet Il songe, dans le fond, à son seul intérêt," c'est-à-dire, qu'il veut uniquement louer le personnage jusqu'à l'en faire crever d'orgueil.

[15] Autre chose encore. Comme quelques-uns ont défini la peinture une poésie muette, pareillement il y a des éloges qui proviennent d'une muette flatterie. Car, de même que les chasseurs trompent mieux le gibier s'ils ont l'air de ne pas chasser, et s'ils feignent de suivre leur chemin, de faire paître un troupeau ou bien de labourer; de même les flatteurs atteignent mieux au but que se proposent leurs éloges s'ils semblent ne pas louer, mais faire autre chose. Céder soit son lit à table, soit son siége à celui qui survient, s'arrêter au milieu d'un discours débité devant le peuple ou le Sénat si l'on voit qu'un des riches veuille parler, renoncer immédiatement à la parole pour qu'il la prenne et descendre de la tribune, c'est montrer par son silence bien plus énergiquement que par tous les cris du monde combien on reconnaît la supériorité et la haute raison du personnage. Aussi peut-on voir les flatteurs s'emparer des premiers siéges dans une