Page:Plutarque - Œuvres complètes de Plutarque - Œuvres morales et œuvres diverses, tome 1, 1870.djvu/225

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avait parlé à personne. C'est ainsi, je pense, que les Dieux nous prodiguent le plus souvent des bienfaits à notre insu, parce que leur nature est d'aimer à être agréables et à faire du bien. Au contraire, l'office du flatteur n'a rien de juste, rien de vrai, de simple, de libéral. Ce sont des sueurs, des courses en tout sens, des exclamations, des tensions de visage, en un mot des signes de pure apparence, qui veulent faire croire à un dévouement utile, laborieux et empressé. C'est comme une peinture, d'affectation minutieuse, qui par des couleurs impudemment empâtées, par des plis rompus, par des rides et des lignes anguleuses, cherche à reproduire la réalité jusqu'à faire illusion. En outre, le flatteur est bien fatigant lorsqu'il énumère combien de courses il a faites dans votre intérêt, combien de tracas il s'est donné, que de gens sont devenus ses ennemis, que d'embarras, quelles graves épreuves il a eu à subir. C'est au point que l'on voudrait s'écrier: «La chose n'en valait pas la peine». En effet tout service reproché devient odieux; ce n'en est plus un; ce devient, au contraire, un poids insupportable. Or les bons offices que rendent les flatteurs sont reprochés par eux non pas plus tard, mais sur le moment même, de sorte que la honte vous en monte incontinent au visage. Au contraire l'ami, s'il est absolument obligé de raconter la circonstance dans laquelle il est intervenu, exposera le fait avec mesure, et de ce qui le concerne personnellement il ne dira rien. Ainsi, les habitants de Smyrne ayant demandé du blé aux Lacédémoniens, et ceux-ci leur en ayant envoyé, ils ne pouvaient témoigner assez d'admiration pour un pareil service. «Nous n'avons rien fait de bien grand, dirent les Lacédémoniens : c'est en ayant décidé que pendant un seul jour hommes et bêtes nous nous abstiendrions de dîner, que nous avons assemblé ce tas.» Non seulement un service ainsi rendu est libéral, mais il devient plus agréable à ceux qui le reçoivent, parce qu'ils croient n'avoir pas été trop à charge au bienfaiteur.