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DES ENFANTS.

une semblable conduite n’est pas tout à fait ridicule quand il n’y a de leur part qu’ignorance ; mais dirai-je ce qui atteint les dernières limites de l’absurde ? Le voici : c’est que souvent ils savent, des gens plus éclairés qu’eux le leur ayant révélé[1], quelle est l’insuffisance de certains maîtres sous le rapport de l’instruction ou de la moralité, et ils n’en confient pas moins leurs fils à de telles mains, parce que quelques-uns de ces pères cèdent aux flatteries de gens qui cherchent à leur plaire, parce que les autres veulent être agréables à des amis dont les sollicitations les pressent. Or n’agissent-ils pas comme le ferait un homme qui étant malade laisserait de côté celui dont la science pourrait le guérir et préférerait, par complaisance pour un ami, l’ignorant qui le tuera ; ou comme celui qui, refusant les services du pilote le plus habile, fixerait, parce qu’un ami lui en aurait fait la prière, son choix sur le plus inexpérimenté ? Grands dieux ! peut-on porter le nom de père, et tenir plus à être agréable à qui vous sollicite qu’à bien élever ses enfants ! Et, après cela, n’avait-il pas bien raison le célèbre Socrate[2] de l’antiquité, quand il disait, que si la chose était possible il grimperait sur le point le plus élevé de la ville, et crierait à tue-tête : « Ô hommes, quel est votre égarement ! Pour acquérir des richesses vous déployez toute votre activité ; mais vos enfants, à qui après vous elles resteront, vous ne prenez d’eux que médiocre souci ». À quoi j’ajouterais, moi, que de tels pères agissent comme celui qui se préoccuperait de sa chaussure et négligerait ses pieds. Mais un grand nombre d’entre eux poussent si loin l’amour de l’or, et tout à la fois la haine contre leurs enfants, que, pour ne pas payer trop cher, ils prennent comme instituteurs de leurs fils des hommes qui n’ont aucun mérite, courant après l’ignorance à bon marché. Aussi, n’est-ce pas un propos brutal, mais une raillerie fort spirituelle qu’adressait Aristippe à un père dénué de bon sens et de raison. Celui-ci voulait savoir quelle somme il lui demanderait

  1. Amyot, d’après une autre leçon : « ils cognoissent mieux que ne font ceulx qui les en advertissent l’insuffisance, etc. »
  2. D'autres : « Cratès ».