Page:Plutarque - Œuvres complètes de Plutarque - Œuvres morales et œuvres diverses, tome 1, 1870.djvu/85

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[8] Je veux me résumer ; et mes paroles devront être prises moins encore comme un précepte que comme un oracle. J’affirme, que pour le début, pour le milieu et pour la fin, le point capital en pareille matière c’est une direction sage, une éducation libérale ; que c’est là ce qui prépare, ce qui assure et la vertu et le bonheur. Tous les autres biens ont le caractère des choses humaines : ils sont chétifs et ne valent pas la peine d’être recherchés. La noblesse de la naissance est une belle chose sans doute, mais c’est un bien que l’on a reçu de ses aïeux. Les richesses ont leur prix, mais elles sont au pouvoir du hasard, et souvent il les enlève à qui les possède pour les aller porter à qui ne les espérait pas ; elles sont un but offert à ceux qui veulent faire métier de viser aux coffres-forts, gens détestables, faux amis de la maison ; enfin, ce qu’il y a de pis, elles sont aussi le partage des plus pervers. La gloire est chose respectable, mais peu solide. La beauté est digne d’envie, mais éphémère. La santé est un trésor, mais un trésor bien facile à perdre. La vigueur corporelle est désirable, mais elle cède bien vite à la maladie, à la vieillesse. Du reste compter sur la force du corps, c’est s’entretenir, qu’on le sache bien, dans une erreur complète. Qu’est-ce, en effet, que la force de l’homme, si par exemple on la compare à celle des autres animaux, je veux dire des éléphants, des taureaux, des lions ? L’instruction est, parmi les biens qui sont en nous, le seul impérissable et divin ; et les deux principaux apanages de la nature humaine sont l’intelligence et le raisonnement[1]. L’intelligence commande au raisonnement, le raisonnement obéit à l’intelligence. L’un et l’autre ne donnent point prise à la fortune ; la calomnie est impuissante à les faire disparaître ; la maladie, à les abattre ; la vieillesse, à les épuiser. Par un privilége exclusif l’intelligence rajeunit en vieillissant ; et le temps, qui enlève tout le reste, ajoute au savoir jusque dans

  1. Amoyot entend, non pas « le raisonnement », mais « la parole ». Il est possible que ce soit le vrai sens, puisque telle est la signification primitive du mot logos. En ce cas toute la phrase devra être lue ainsi : « … sont l’intelligence et la parole. L’intelligence commande à la parole, la parole obéie à l’intelligence et celle-ci ne donne aucune prise, etc., etc. »