Page:Plutarque - Vies des hommes illustres, Charpentier, 1853, Tome 1.djvu/102

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tant qu’ils n’eurent pas été eux-mêmes offensés par le tyran, demeurèrent insensibles aux outrages dont tous avaient à souffrir. Si Romulus donna des preuves d’un grand courage, lorsqu’il fut blessé en combattant contre les Sabins, lorsqu’il tua Acron de sa main et vainquit tant de fois l’ennemi en bataille, on peut opposer à ses hauts faits le combat contre les Centaures et la guerre des Amazones.

Mais l’audacieuse entreprise de Thésée, pour affranchir Athènes du tribut qu’elle payait à la Crète ; mais son départ volontaire avec les jeunes filles et les jeunes garçons, quand il se mettait au hasard d’être dévoré par le Minotaure, ou immolé sur le tombeau d’Androgée, ou réduit, et c’était là le moindre péril qu’il eût à courir, à un honteux esclavage sous des maîtres insolents et cruels : comment exprimer tout ce qu’il lui fallut, pour cela, de courage, de magnanimité, de dévouement au bien public, quel désir de gloire et de vertu ? Les philosophes n’ont pas eu tort, ce me semble, de définir l’amour une entreprise des dieux pour la sûreté et la conservation des jeunes gens[1]. L’amour d’Ariadne fut donc l’ouvrage d’un dieu, et l’instrument dont se servit ce dieu pour sauver Thésée. Ne blâmons pas celle qui se prit ainsi d’amour : étonnons-nous plutôt que tous les hommes et toutes les femmes n’aient pas eu pour Thésée la même affection qu’elle. Mais cette passion qu’elle seule a ressentie, voilà, j’ose le dire, ce qui l’a rendue digne de l’amour d’un dieu ; car ce qu’elle aimait, c’était le beau, c’était le bien, c’était un héros.

Thésée et Romulus étaient nés tous deux pour gouverner ; mais ils ne surent ni l’un ni l’autre conserver le caractère de roi. Ils firent dégénérer la royauté, l’un en démocratie, et l’autre en tyrannie, tombant tous deux dans la même faute, par des passions contraires.

  1. Voyez le Banquet de Platon.