Page:Plutarque - Vies des hommes illustres, Charpentier, 1853, Tome 1.djvu/109

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vait pas bu. Cependant, malgré l’admiration dont cette force d’âme était l’objet, on ne donna pas son nom à ses descendants, mais celui de son fils : on les appelle les Eurytionides. La raison, je pense, c’est qu’Eurytion fut le premier qui relâcha, pour flatter la multitude et gagner ses bonnes grâces, l’autorité absolue des rois de Sparte.

L’indulgence d’Eurytion rendit le peuple exigeant ; et les rois qui vinrent depuis s’attiraient sa haine, dès qu’ils essayaient de le réprimer par la force, ou son mépris, s’ils lui cédaient par complaisance et par faiblesse. Aussi, pendant longtemps, Sparte fut-elle en proie à une anarchie et à un désordre dont un roi même, le père de Lycurgue, fut victime : en voulant séparer des gens qui se battaient, il reçut un coup de couteau de cuisine, dont il périt, laissant le royaume à Polydectès, son fils aîné. Peu de temps après, Polydectès lui-même mourut. C’était donc Lycurgue que tout le monde s’attendait à voir régner ; et, en effet, il fut roi tant qu’on ignora la grossesse de la femme de son frère ; mais, aussitôt qu’elle fut connue, il déclara que la royauté appartiendrait à l’enfant, si c’était un mâle ; et, dès ce moment, il n’administra plus les affaires qu’en qualité de tuteur. Les Lacédémoniens donnent le nom de prodiques[1] aux tuteurs des rois orphelins. Cependant la veuve envoya sous main lui faire entendre, s’il voulait l’épouser quand il serait roi de Sparte, qu’elle ferait périr son fruit. Lycurgue eut horreur de sa scélératesse ; mais il ne rejeta pas sa proposition ; il eut même l’air de l’approuver et d’y consentir : seulement il répondit qu’il n’était pas besoin d’avortement, et que les breuvages pourraient altérer sa santé, et la mettre en danger de la vie ; que lui-même, dès que l’enfant serait né, il trouverait bien les moyens de s’en défaire. Il entretint cette femme de la sorte, jusqu’au terme de sa grossesse ; et il ne la sut pas plutôt en travail, qu’il envoya des gens

  1. Ce mot signifie justicier et défenseur en justice.