Page:Plutarque - Vies des hommes illustres, Charpentier, 1853, Tome 1.djvu/110

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

sûrs, pour assister à ses couches et la surveiller. Si elle accouchait d’une fille, ils avaient ordre de la remettre entre les mains des femmes ; si c’était un mâle, de le lui apporter, quelle que fût l’affaire qui l’occupât à cet instant. Ce fut un fils qu’elle mit au monde ; Lycurgue était à souper avec les magistrats, quand ceux qu’il avait chargés de cet office vinrent lui apporter l’enfant. Il le prit entre ses bras, et il dit aux assistants : « Spartiates, un roi nous est né. » Il assit l’enfant à la place royale, et il le nomma Charilaüs[1], à cause de l’extrême joie de tous les assistants, qu’avaient saisis d’admiration la grandeur d’âme de Lycurgue et sa justice.

Lycurgue n’avait régné en tout que huit mois ; mais il conserva toujours l’estime de ses concitoyens, et on l’écoutait, on exécutait ses ordres, bien plus encore par respect pour sa vertu, que parce qu’il était tuteur du roi et exerçait l’autorité souveraine. Pourtant il eut des envieux : on fit tout pour arrêter dans son essor la fortune de ce jeune homme, surtout les parents et les amis de la mère du roi, laquelle, suivant eux, avait été jouée. Léonidas, frère de la reine, insulta un jour Lycurgue sans nulle retenue, et lui dit : « Je sais très-bien que tu régneras. » Il voulait, par cette calomnie, le rendre suspect, et prévenir les esprits contre Lycurgue, comptant, s’il arrivait malheur au roi, qu’on l’accuserait d’avoir préparé l’événement. La mère, de son côté, faisait courir les mêmes bruits. Le chagrin qu’il en eut, et la peur de ce que cachait l’avenir, le déterminèrent à s’éloigner, pour se mettre à l’abri des soupçons, et à voyager par le monde, jusqu’à ce que le fils de son frère fût parvenu à l’âge d’homme et eût engendré un héritier.

Il partit donc, et il alla d’abord en Crète. Il observa avec soin les institutions du pays, et il conversa avec les personnages les plus en renom. Il approuva fort quelques

  1. Des deux mots χαρά, joie, et λαός, peuple.