Page:Plutarque - Vies des hommes illustres, Charpentier, 1853, Tome 1.djvu/160

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tueux. Voilà ce qu’on peut croire ; et c’est ainsi que s’expliquent les contes des poëtes sur l’amour d’Apollon pour Phorbas, pour Hyacinthe, pour Admète, pour Hippolyte de Sicyone. Hippolyte, dit-on, n’allait jamais par mer de cette ville à Cirrha[1], que le dieu, sentant son approche, et se réjouissant de son retour, n’inspirât à la Pythie de prononcer ce vers hexamètre :

Hippolyte, cette tête chérie, traverse la mer et revient.

On raconte aussi que Pan aima Pindare et ses poésies. Les dieux firent rendre des honneurs à Hésiode et à Archiloque après leur mort, parce qu’ils avaient été chers aux Muses ; Esculape alla loger chez Sophocle, du vivant de ce poëte, et il subsiste, encore aujourd’hui, plus d’une preuve de cette visite : on ajoute qu’après sa mort, un autre dieu lui donna la sépulture. Si nous croyons que la divinité a traité de la sorte des poëtes, pourrions-nous sans injustice refuser de croire qu’ils aient visité Zaleucus, Minos, Zoroastre, Numa, Lycurgue, ces gouverneurs de royaumes, ces fondateurs de républiques ? ou plutôt ne faut-il pas dire qu’un impérieux motif amenait les dieux à se communiquer à ces grands hommes ? Ils durent venir pour leur inspirer leurs entreprises glorieuses, et pour les encourager dans l’exécution ; tandis que, s’il est vrai qu’ils se soient jamais communiqués à des poëtes et à des joueurs de lyre, ils ne l’ont fait que par simple passe-temps. Au reste, si quelqu’un est d’un autre sentiment, le chemin est large, comme parle Bacchylide[2] (9) ; car il n’y a nulle absurdité à croire, avec certains auteurs, que

  1. Sicyone et Cirrha étaient l’une et l’autre sur le golfe de Corinthe, et Cirrha dépendait du territoire de Delphes.
  2. Poëte grec né à Céos, et qui florissait au milieu du cinquième siècle avant J.-C. Il ne reste que quelques fragments des nombreuses poésies de tout genre qu’il avait composées. J’en ai traduit les principaux dans mon Histoire de la Littérature grecque.