Page:Plutarque - Vies des hommes illustres, Charpentier, 1853, Tome 1.djvu/161

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Lycurgue, Numa, et plusieurs autres personnages célèbres, ayant à mener une multitude farouche et difficile à manier, ont supposé, pour faire accueillir les grands changements qu’ils proposaient, un ordre émané des dieux : fiction salutaire à ceux-là mêmes qu’on avait induits dans l’erreur.

Numa était dans la quarantième année de son âge, lorsque les députés vinrent de Rome, le prier d’accepter la royauté. La parole fut portée par Proculus et Vélésus, qui avaient eu l’un et l’autre des chances dans l’élection : Proculus avait été porté par les Romains, Vélésus par les Sabins. Leur discours ne fut point long : ils ne doutaient pas que Numa ne regardât comme un grand bonheur la nouvelle qu’ils lui apportaient[1]. Mais ce ne fut pas petite affaire que de l’amener à consentir. Il fallut bien des raisons, et la prière même, pour ébranler un homme qui avait toujours vécu dans le repos et dans la paix, et pour lui persuader de prendre le gouvernement d’une ville née, en quelque sorte, de la guerre, et qui avait grandi par les armes. Il répondit, en présence de son père et de Marcius, un de ses parents : « Tout changement dans notre vie est pour nous un péril ; mais, à l’homme qui ne manque pas du nécessaire, et qui n’a pas à se plaindre de sa situation présente, c’est pure folie que de renoncer à ses habitudes et de changer sa condition : biens assurés, du moins, et, n’eussent-ils pas d’autres avantages, préférables, par cela seul, à ce qui est incertain. La royauté ne présente même pas cette incertitude du danger, s’il en faut juger par ce qui est arrivé à Romulus : entaché du soupçon flétrissant d’avoir fait assassiner Tatius, son collègue, il a laissé, en mourant, peser sur les sénateurs la flétrissante imputation de l’avoir fait périr lui-même. Et pourtant les sénateurs célèbrent, dans Romulus, un fils des dieux ; ils disent que Romulus a été nourri dans son enfance et sauvé par une protection singulière de la divinité. Pour moi, je suis d’une

  1. WS. : appportaient : coquille.