Page:Plutarque - Vies des hommes illustres, Charpentier, 1853, Tome 1.djvu/206

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qu’ils n’osaient s’avancer, retenus par la crainte de la loi. Il imagina donc de contrefaire le fou, et il fit répandre dans la ville, par les gens mêmes de sa maison, qu’il avait perdu l’esprit. Cependant il avait composé en secret une élégie, et il l’avait apprise par cœur ; et un jour il sortit brusquement de chez lui, un chapeau sur la tête[1], et il courut à la place publique. Le peuple l’y suivit en foule ; et là, Solon, monté sur la pierre des proclamations publiques, chanta son élégie, qui commence ainsi :

Je viens moi-même, en héraut, de la belle Salamine.
Au lieu d’un discours, j’ai composé pour vous des vers.


Ce poëme est appelé Salamine, et il contient cent vers, qui sont d’une grande beauté.

Quand Solon eut fini, ses amis applaudirent : Pisistrate surtout encouragea si bien les Athéniens à suivre son avis, que le décret fut révoqué, la guerre déclarée, et Solon nommé général.

Voici, sur cette expédition, la tradition vulgaire.

Solon fit voile, avec Pisistrate, vers Coliade[2], où il trouva toutes les femmes athéniennes rassemblées pour faire à Cérès un sacrifice solennel. De là il envoie à Salamine un homme de confiance, qui se donne pour un transfuge, et qui propose aux Mégariens, s’ils veulent s’emparer des premières femmes d’Athènes, de partir avec lui pour Coliade. Les Mégariens, sur sa parole, dépêchent à l’heure même un vaisseau rempli de soldats. Solon, ayant vu le vaisseau sortir de Salamine, fait retirer les femmes, et il accoutre de leurs vêtements, de leurs coiffures, de leurs chaussures, les jeunes gens qui n’avaient point encore de barbe. Ceux-ci cachèrent des poignards sous leurs robes, et ils allèrent, d’après

  1. C’était le costume des malades ; et le chapeau est une des prescriptions médicales que recommande Platon dans le troisième livre de la République.
  2. Promontoire de l’Attique, près de Phalère.