Page:Plutarque - Vies des hommes illustres, Charpentier, 1853, Tome 1.djvu/208

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Il y a des usages qui semblent confirmer ce récit. Tous les ans un navire partait d’Athènes, et se rendait sans bruit à Salamine. Des habitants de l’île venaient au-devant du navire, tumultueusement, en désordre ; et un Athénien, s’élançant sur le rivage, les armes à la main, courait, en jetant de grands cris, du côté de ceux qui venaient de la terre. C’était au promontoire de Sciradium[1] et l’on voit encore, non loin de là, un temple de Mars, que Solon fit bâtir après avoir vaincu les Mégariens.

Tous ceux qui n’avaient pas péri dans le combat restèrent libres, par le bénéfice du traité. Cependant les Mégariens s’obstinaient à vouloir reprendre Salamine. Les deux peuples se firent réciproquement tous les maux qu’ils purent ; mais, à la fin, ils prirent les Lacédémoniens pour arbitres, et ils s’en rapportèrent à leur décision. On dit généralement que Solon allégua, dans la dispute, l’autorité d’Homère ; qu’il interpola un vers, dans le dénombrement des vaisseaux ; et qu’il lut ainsi devant les juges :

Ajax amena de Salamine douze vaisseaux,
Et il les rangea au lieu où étaient les phalanges athéniennes[2].


Mais les Athéniens traitent ce récit de conte puéril : ils assurent que Solon prouva clairement aux juges que Phyléus et Eurysacès, fils d’Ajax, ayant reçu le droit de cité dans Athènes, avaient abandonné leur île aux Athéniens, et qu’ils s’étaient établis en Attique, l’un à Brauron, l’autre à Mélite, et que Philéus avait donné son nom au dème des Philaïdes, d’où était Pisistrate.

Solon, pour détruire plus sûrement la prétention des Mégariens, se fit un argument de la manière dont les Salaminiens enterraient les morts, manière conforme à

  1. L’île tout entière portait aussi le nom de Scirade.
  2. Le vers soi-disant interpolé, où Ajax compte parmi les chefs athéniens, est dans le deuxième chant de l’Iliade, le 558e.