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PUBLICOLA.

Latins, et Rome s’attendait à une nouvelle guerre. D’ailleurs, une frayeur superstitieuse avait saisi toute la ville : les femmes enceintes ne mettaient plus au monde que des enfants mal conformés, et pas un ne venait à terme. Publicola, après avoir consulté les livres sibyllins, fit des sacrifices pour apaiser Pluton ; il rétablit certains jeux, anciennement institués par l’ordre d’Apollon ; il remit la joie dans Rome, en ranimant la confiance en la protection des dieux ; puis il s’occupa des dangers dont on était menacé du côté des hommes, car la ligue qui se formait était vraiment redoutable, et les ennemis faisaient d’immenses préparatifs.

Il y avait, parmi les Sabins, un citoyen opulent, nommé Appius Clausus[1], homme d’une force extraordinaire, et le premier de sa nation par son mérite éclatant et par son éloquence. Il n’évita pas le sort commun à tous les grands hommes, et il devint un objet d’envie. En voulant empêcher la guerre, il fournit à ses envieux un prétexte d’accusation. Il cherchait, disait-on, à accroître la puissance des Romains, pour se rendre le tyran de sa patrie, et pour la réduire en servitude. Le peuple prêtait l’oreille à ces calomnies, et Appius se voyait d’ailleurs en butte à la haine des ennemis de la paix et des gens de guerre : il craignit d’être traduit en justice, rassembla un grand nombre de ses parents et de ses amis, et fomenta une sédition. C’était retarder les hostilités, et tenir les Sabins en échec. Publicola s’informait diligemment de tout ce qui se passait chez les ennemis : bien plus, il excitait, il échauffait leurs divisions. Des gens affidés allèrent, de sa part, trouver Clausus, et lui dirent : « Publicola te sait homme de bien, et trop juste pour te vouloir venger de tes concitoyens, quels qu’aient été envers toi leurs torts ; mais, si tu veux, pour sauver ta vie et te dérober à la haine, transporter ton séjour près

  1. Il se nommait Atta, ce qui signifiait boiteux, en langue sabine ; et les Romains traduisirent ce nom en Clausus ou Claudus, qui a la même signification.