Page:Plutarque - Vies des hommes illustres, Charpentier, 1853, Tome 1.djvu/322

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avaient proposé qu’on séparât en deux portions égales et le peuple et le sénat ; qu’une moitié restât à Rome, et que l’autre, à la décision du sort, allât habiter la ville nouvellement conquise : mesure qui devait, à les entendre, accroître la prospérité de tous, et qui permettrait aux Romains, possesseurs de deux grandes et belles villes, de protéger efficacement leur pays et leurs autres biens. Le peuple, qui était déjà nombreux et riche, avait accueilli avec joie la proposition : sans cesse attroupé autour de la tribune, il demandait à grands cris qu’on allât aux suffrages. Le sénat et les principaux citoyens voyaient, dans la proposition des tribuns, non point un partage de Rome, mais sa ruine totale : et, saisis d’indignation, ils recoururent à Camille. Celui-ci, qui redoutait l’effet de cette division, se mit à alléguer au peuple divers prétextes, et à faire naître des obstacles : il reculait ainsi de jour en jour la présentation de la loi. De là cette haine qu’on vint à lui porter.

Mais ce fut à l’occasion de la dîme des dépouilles, que le peuple fit éclater avec plus de force son animosité contre lui ; et il faut avouer qu’ici, le motif, sans être parfaitement juste, avait au moins quelque chose de spécieux. Lorsque Camille était parti contre Véies, il avait fait vœu, s’il prenait cette ville, de consacrer à Apollon la dime du butin. Quand la ville fut prise et livrée au pillage, il laissa les soldats maîtres de tout le butin, soit qu’il craignît de les chagriner, soit que l’embarras où il se trouvait alors lui eût fait oublier son vœu. Ce ne fut que longtemps après[1], et lorsqu’il était déjà sorti de charge, qu’il fit part de la chose au sénat. En même temps, les devins déclaraient que les victimes annonçaient visiblement la colère des dieux, et qu’il fallait, pour les apaiser, une expiation, des sacrifices propitiatoires. Le sénat, vu l’impossibilité de revenir sur le partage du bu-

  1. Au bout d’une année entière.