Page:Plutarque - Vies des hommes illustres, Charpentier, 1853, Tome 1.djvu/327

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sentiment des citoyens contre Camille, que le malheur domestique qu’il éprouva, par la mort d’un de ses deux fils, ne put les toucher ni apaiser leur colère. Pour Camille, qui était d’un caractère bon et sensible, il fut si accablé de cette perte, que, cité en justice, il ne comparut pas, et qu’il se tint enfermé chez lui avec les femmes.

L’accusateur de Camille était Lucius Apuléius. Il lui imputait d’avoir détourné une portion du butin pris sur les Étrusques, donnant comme preuve certaines portes de bronze, qui en faisaient partie, et qu’on avait vues chez Camille. Le peuple était irrité, et la condamnation indubitable sur le moindre prétexte. Camille fait venir chez lui ses amis, ses compagnons d’armes, ses anciens collègues ; ce qui formait une troupe considérable ; il les conjure de ne le point laisser sous le coup de ces accusations calomnieuses, et de le sauver d’une sentence inique et de la risée de ses ennemis. Ils répondirent, après délibération et discussion, qu’ils ne pouvaient rien pour empêcher le jugement ; mais que, s’il était condamné à une amende, ils la paieraient pour lui. Camille, indigné de leur faiblesse, et n’écoutant que sa colère, prit la résolution de quitter la ville, et de s’exiler volontairement. Il embrasse sa femme et son fils, il sort de sa maison, et il marche en silence jusqu’aux portes de la ville. Là, il s’arrête ; et, s’étant retourné, les mains étendues vers le Capitole, il adresse aux dieux cette prière : « Si je suis innocent, et si c’est l’injustice et la jalousie du peuple qui me forcent de quitter ignominieusement ma patrie, faites que les Romains s’en repentent bientôt, et que tout l’univers reconnaisse le besoin qu’ils ont de moi, et les regrets que leur aura causés l’absence de Camille. » Après avoir chargé, comme Achille, ses concitoyens d’imprécations, il s’éloigna de Rome[1]. Il fut condamné, par contumace, à une amende de quinze mille

  1. C’était quatre ans après la prise de Faléries, l’an 391 ou 390 avant J.-C.