Page:Plutarque - Vies des hommes illustres, Charpentier, 1853, Tome 1.djvu/421

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et le développement lent et pénible de son intelligence, son manque de volonté, sa docilité pour les caprices de ses camarades, le faisaient juger presque imbécile et stupide, par ceux qui ne pouvaient le connaître que sur les apparences. Bien peu savaient apercevoir, dans les profondeurs de cette jeune âme, une inébranlable fermeté, une magnanimité de lion. Pourtant les circonstances politiques ne tardèrent pas à éveiller cette âme qui sommeillait ; et l’on reconnut que ce que l’on avait cru stupidité, paresse, engourdissement, insensibilité, n’était qu’absence momentanée de passion quelconque, gravité réfléchie, fermeté et constance. Citoyen d’une grande république, et qui soutenait des guerres multipliées, il regarda son corps comme une arme donnée par la nature, et il le prépara, par l’exercice, aux travaux de la guerre. Jugeant l’art de la parole un moyen de persuasion puissant sur le peuple, il s’appliqua à l’éloquence, mais à un genre d’éloquence qui répondît à sa vie, à son caractère. Ces ornements, cet éclat léger et frivole qui n’a de mérite qu’aux yeux de la foule, étaient bannis de ses discours : on n’y trouvait que le bon sens qui lui était naturel, que l’abondance et la profondeur des pensées ; ce qui faisait comparer son style à celui de Thucydide. On a conservé un de ses discours, qu’il prononça devant le peuple : c’est l’oraison funèbre de son fils, mort après avoir été consul[1].

Fabius fut cinq fois consul. Pendant son premier consulat, il triompha des Ligures, qu’il avait vaincus en bataille rangée ; et les Ligures, effrayés de la grandeur de leurs pertes, se retirèrent aux Alpes, et cessèrent leurs incursions et leurs ravages dans les campagnes de l’Italie, dont ils étaient voisins[2]. Ensuite[3],

  1. Cicéron cite cette oraison funèbre comme un chef-d’œuvre d’éloquence.
  2. Les Ligures habitaient ce qui est maintenant le pays de Gênes, et ils s’étendaient du Var à la Macra.
  3. Une quinzaine d’années au moins après le premier consulat de Fabius.