Page:Plutarque - Vies des hommes illustres, Charpentier, 1853, Tome 1.djvu/424

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aucun déguisement, il dit à haute voix, et devant tous : « Romains, nous avons été vaincus en bataille rangée ! Notre armée est détruite ; le consul Flaminius est mort ! Avisez donc à ce que vous avez à faire pour votre salut et votre sûreté. » Ces paroles tombèrent au milieu des flots du peuple, comme un vent orageux sur une vaste mer : la consternation se répandit par toute la ville ; et, dans cette épouvante générale, nul n’avait conservé assez de sang-froid pour mener la délibération. Cependant tous convinrent qu’il fallait, vu la gravité des circonstances, recourir à la magistrature unique et absolue qu’on appelle la dictature ; qu’il était besoin, pour l’exercer, d’un homme énergique et inébranlable ; que cet homme, c’était Fabius Maximus, dont la grandeur d’âme et la gravité de caractère répondaient à la grandeur d’une telle charge, et qui était arrivé à cet âge où la vigueur du corps est proportionnée à la maturité de l’esprit, et où l’audace est tempérée par une sage prudence.

Cet avis fut adopté ; et Fabius fut proclamé dictateur. Aussitôt il choisit pour général de cavalerie Lucius Minucius ; et il demanda d’abord au sénat l’autorisation de commander à cheval, ce qui avait été expressément défendu par une loi ancienne : soit que les Romains missent leurs forces principales dans l’infanterie, et qu’ils voulussent, pour cette raison, que le général demeurât attaché à la phalange, et qu’il ne s’en séparât point ; soit que, la puissance de cette magistrature étant absolue et sans bornes, ils eussent voulu que le dictateur parût dépendant du peuple, du moins en ce qu’il devait lui demander une autorisation.

Cependant Fabius, pour déployer aux yeux de tous la majesté de la dictature dans toute sa puissance, et pour rendre les citoyens plus soumis et plus dociles, s’avança en public précédé d’un groupe de vingt-quatre licteurs ; et, voyant venir à lui le consul survivant, il lui envoya,