Page:Plutarque - Vies des hommes illustres, Charpentier, 1853, Tome 1.djvu/469

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bien plus, qu’il surpasserait l’autorité et la réputation dont jouissait, dans la Grèce, Périclès lui-même. Aussi, comme le fer que le feu vient d’amollir acquiert force et densité lorsqu’on le trempe à froid, de même Alcibiade, énervé par les délices et enflé de vanité, à peine retombé aux mains de Socrate, se fortifiait par ses discours, rentrait en lui-même, et redevenait humble et modeste, en reconnaissant combien il avait de défauts, et à quelle distance il était de la vertu.

Voici des traits de sa première adolescence.

Un jour, il entra dans l’école d’un grammairien, et il lui demanda un livre d’Homère. Le grammairien ayant répondu qu’il n’avait rien des ouvrages d’Homère, Alcibiade lui donna un soufflet, et sortit. À un autre grammairien, qui venait de lui dire qu’il avait un Homère corrigé de sa main : « Et après cela, dit Alcibiade, tu montres encore les lettres ! Toi, capable de corriger Homère, tu n’enseignes pas de jeunes hommes ! » Un autre jour, il allait voir Périclès. Il frappe à la porte ; on lui dit que Périclès est occupé, et qu’il travaille à rendre ses comptes aux Athéniens. « Ne ferait-il pas mieux, dit Alcibiade en s’en allant, de travailler à ne les pas rendre ? »

Il était fort jeune encore, lorsqu’il alla à l’expédition de Potidée[1]. Tant qu’elle dura, il logea dans la tente de Socrate, et il combattit à ses côtés. À une grande bataille qui se donna, ils se distinguèrent l’un et l’autre par leur vaillance. Alcibiade fut blessé : Socrate se mit devant lui, le défendit, à la vue de toute l’armée, et le sauva, lui et ses armes, des mains de l’ennemi. Le prix de la valeur était incontestablement dû à Socrate ; mais les généraux témoignèrent le désir de déférer cet honneur à Alcibiade, à cause de sa haute naissance ; et So-

  1. C’était au commencement de la guerre du Péloponnèse. Il avait alors dix-neuf ans. Potidée était une colonie athénienne en Macédoine, qui s’était révoltée contre sa métropole.