Page:Plutarque - Vies des hommes illustres, Charpentier, 1853, Tome 1.djvu/490

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

donnant sa parole qu’il leur rendrait, à l’avenir, plus de services qu’il ne leur avait fait de mal auparavant. Les Spartiates le lui accordèrent ; et il s’empressa de profiter de leur bon vouloir. La première chose qu’il fit, en arrivant chez eux, ce fut de mettre fin à leurs hésitations, et de les déterminer à secourir immédiatement les Syracusains. On leur envoya, par son conseil, et sur ses pressantes instances, Gylippe pour les commander, et pour détruire en Sicile les forces des Athéniens. En second lieu, il conseilla de faire marcher les troupes du Péloponnèse contre l’Attique. Enfin, et c’était la plus importante résolution, il fit décréter qu’on fortifierait Décélie[1] ; mesure qui contribua, plus que tout le reste, à affaiblir et presque à ruiner Athènes.

En même temps qu’il rendait ces services à l’État, il se faisait admirer des particuliers, gagnait l’amitié de tous les citoyens, et les charmait par sa facilité à adopter leur manière de vivre. Ceux qui le voyaient se raser jusqu’à la peau[2], se baigner dans l’eau froide, manger du pain bis et du brouet noir, se demandaient si un pareil homme avait eu bien véritablement chez lui un cuisinier, et s’il avait jamais vu un parfumeur, ou osé toucher une tunique de Milet. En effet, une qualité entre tant d’autres dont il était plein, un seul artifice lui suffisait pour gagner les hommes : c’était sa souplesse à prendre toutes les formes et toutes les inclinations, à se plier à tous les genres de vie, à changer d’habitudes plus promptement que le caméléon ne change de couleur ; avec cette différence que le caméléon ne peut, dit-on, prendre la couleur blanche, au lieu qu’Alcibiade passait, avec la même facilité, du mal au bien et du bien au mal. Il n’y avait point de manières qu’il ne pût imiter, point de coutumes auxquelles il ne sût se prêter : à Sparte,

  1. Ville de l’Attique, qui était au pouvoir des Lacédémoniens.
  2. Les Athéniens de bon ton se rognaient la barbe assez court, mais ils ne se rasaient pas.