Page:Plutarque - Vies des hommes illustres, Charpentier, 1853, Tome 1.djvu/496

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que quatre cents, se furent rendus les maîtres et eurent envahi l’autorité, ils négligèrent Alcibiade, et ils ne montrèrent plus la même ardeur pour la guerre : d’abord, parce qu’ils se défiaient des citoyens, lesquels ne se prêtaient que malgré eux à ce changement ; et puis, parce qu’ils comptaient que les Lacédémoniens, partisans de tout temps du gouvernement oligarchique, se montreraient plus disposés à traiter avec eux. Quant au peuple d’Athènes, il demeura malgré lui en repos, effrayé par le massacre en masse de ceux qui s’étaient ouvertement opposés à la tyrannie des quatre cents[1].

Les Athéniens qui étaient à Samos furent saisis d’indignation à ces nouvelles ; et ils résolurent de faire voile à l’instant vers le Pirée. Ils appellent Alcibiade, ils le nomment général, et ils l’invitent à se mettre à leur tête, pour aller renverser les tyrans. Mais il n’en usa pas en homme que vient d’élever tout d’un coup la faveur du peuple : il ne crut pas devoir complaire en tout, et ne rien refuser, à ceux qui lui avaient déféré, à lui banni et fugitif, le commandement d’une telle flotte et d’une armée si nombreuse. Par une conduite digne d’un grand général, il arrêta la démarche où les entraînait la colère ; et, prévenant la faute qu’on allait commettre, il sauva évidemment alors les affaires de son pays. S’ils eussent mis à la voile pour retourner à Athènes, aussitôt les ennemis se seraient rendus, sans coup férir, maîtres de l’Ionie entière, de l’Hellespont et de toutes les îles, pendant que les Athéniens, portant la guerre dans leur propre ville, auraient combattu les uns contre les autres. Alcibiade seul empêcha ce malheur, non-seulement par ses discours, par ses exhortations publiques, mais aussi par les prières ou les remontrances qu’il adressait à chacun en particulier. Thrasybule de

  1. Thucydide fait très-bien comprendre toutes les phases de cette révolution, dont Plutarque n’a donné qu’un trop court et un peu obscur sommaire.