Page:Plutarque - Vies des hommes illustres, Charpentier, 1853, Tome 1.djvu/528

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troubles et des dissensions d’autrefois. La plupart des terres n’avaient été ni ensemencées ni labourées ; et la guerre n’avait pas permis de faire venir du blé d’ailleurs : la disette devint donc extrême. Les démagogues, voyant qu’il n’y avait point de blé au marché, et que, même y en eût-il, le peuple manquait d’argent pour en acheter, lancèrent contre les riches des accusations calomnieuses. C’étaient les riches, à les en croire, qui satisfaisaient leur rancune en affamant le peuple. Or, il arriva de Vélitres[1] une députation, qui venait remettre cette ville aux Romains, et les prier d’y envoyer une colonie : une maladie contagieuse avait tellement ravagé et dépeuplé Vélitres, qu’il y restait à peine la dixième partie des habitants. Les gens sensés regardèrent comme une heureuse circonstance, et vraiment opportune, le besoin où se trouvaient les Véliternes. Ils espéraient que ce serait un moyen de soulager la disette, et en même temps de dissiper la sédition : il ne fallait pour cela, pensaient-ils, que purger la ville des citoyens turbulents et qui se laissaient emporter aux déclamations des démagogues, comme d’autant d’humeurs vicieuses, qui altéraient la santé de l’État. Les consuls choisissent donc ceux-là, et les envoient dans la colonie ; puis ils enrôlent les autres citoyens, pour une expédition contre les Volsques, cherchant dans les travaux de la guerre un remède aux troubles intérieurs, et comptant que riches et pauvres, plébéiens et nobles, une fois ensemble sous les armes et dans le même camp, et partageant les mêmes dangers, prendraient des sentiments plus doux et plus paisibles les uns pour les autres. Mais les démagogues Sicinius et Brutus s’opposèrent aux décrets. « Les consuls, criaient-ils, déguisent, sous le nom spécieux de colonie, une proscription sauvage. Ils poussent les pauvres dans un gouffre, en les envoyant ha-

  1. Ville des Volsques, aujourd’hui Vellétri, sur la voie Appienne.