Page:Plutarque - Vies des hommes illustres, Charpentier, 1853, Tome 1.djvu/558

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qu’une chose : ce fut qu’on élevât un temple à la Fortune féminine, offrant de faire elles-mêmes les frais de la construction, à condition que l’État fournirait les victimes, et qu’il se chargerait de toutes les dépenses exigées par la convenance du culte divin. Le sénat loua leur générosité ; mais il fit faire, aux frais du trésor public, le temple et la statue de la déesse. Les femmes n’en apportèrent pas moins l’argent qu’elles y avaient destiné, et elles en firent une seconde statue. Placée dans le temple, cette statue, suivant les Romains, aurait prononcé ces paroles : « Femmes, vous avez fait, en me consacrant, une action agréable aux dieux. » Ils content même qu’elle répéta ces mots une seconde fois ; mais c’est vouloir nous faire croire des choses qui ont tout l’air d’une pure invention, et auxquelles on ne saurait ajouter foi. Que des statues aient sué, qu’elles aient jeté quelques larmes ou quelques gouttes de sang, il n’y a rien là d’impossible : les bois et les pierres contractent souvent une moisissure qui engendre l’humidité ; ils prennent d’eux-mêmes plusieurs sortes de couleurs, et ils reçoivent diverses teintes de l’air qui les environne ; et rien n’empêche sans doute la divinité de mettre, dans ces apparences, comme des signes d’événements futurs. Il est possible encore que des statues rendent un son semblable à un murmure et à un soupir, qui soit causé par une rupture ou par la séparation violente de leurs parties intérieures ; mais qu’un corps inanimé produise une voix articulée, des paroles claires, distinctes et intelligibles, c’est ce qui est absolument impossible ; car ni notre âme, ni la divinité même, ne peuvent former des sons articulés, des discours suivis, sans un corps pourvu de tous les organes de la parole. Là où l’histoire veut, à l’aide d’un grand nombre de témoins et dignes de foi, forcer notre assentiment pour de pareils faits, il faut croire qu’ils sont l’effet d’un mouvement différent de celui qui agit sur nos sens, et