Page:Plutarque - Vies des hommes illustres, Charpentier, 1853, Tome 2.djvu/203

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digné de l’avilissement et du déshonneur imprimés à l’ostracisme, y renonça, et l’abolit pour toujours.

Voici, pour en donner sommairement l’idée, la manière dont on y procédait. Chacun prenait une coquille sur laquelle il écrivait le nom du citoyen qu’il voulait bannir, et la portait dans un endroit de la place publique fermé circulairement d’une cloison de bois. Les magistrats comptaient d’abord le nombre des coquilles qui s’y trouvaient ; et, s’il y avait moins de six mille votes exprimés, il n’y avait pas lieu à ostracisme. Après cette opération on mettait à part chacun des noms, et celui dont le nom était écrit sur un plus grand nombre de coquilles était banni pour dix ans tout en conservant la jouissance de ses biens.

Le jour qu’Aristide fut banni, un paysan grossier et qui ne savait pas écrire présenta, dit-on, sa coquille à Aristide, qu’il prit pour un homme du vulgaire, et le pria d’y écrire le nom d’Aristide. Celui-ci s’étonne : « Aristide t’a donc fait du tort, demande-t-il à cet homme ? — En rien, répondit le paysan ; je ne le connais même pas ; mais je suis las de l’entendre partout appeler le Juste. » Sur cette réponse, Aristide écrivit le nom, sans dire un seul mot, et lui remit la coquille. Quand il sortit de la ville, il leva les mains au ciel, et fit, comme on peut croire, une prière tout opposée à celle d’Achille[1] : « Que jamais Athènes, dit-il, ne se trouve dans des conjonctures qui forcent le peuple à se souvenir d’Aristide ! »

Trois ans après, lorsque Xerxès traversait la Thessalie et la Béotie pour entrer dans l’Attique, les Athéniens révoquèrent la loi d’exil, et firent un décret qui rappelait tous les bannis : ils craignaient surtout qu’Aristide n’embrassât le parti des ennemis, qu’il ne corrompît un grand nombre de citoyens, et ne les fît passer du côté du Bar-

  1. Dans le premier chant de l’Iliade'.