Page:Plutarque - Vies des hommes illustres, Charpentier, 1853, Tome 2.djvu/235

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avec raison, et l’enseignant, que ces accessoires font souvent plus d’effet sur les ennemis que l’épée qu’on leur présente. Dans les marches, il allait toujours à pied, portant lui-même ses armes, et suivi d’un seul esclave chargé de ses provisions. Jamais, dit-on, il ne s’irrita contre lui, ni ne lui montra de l’humeur, quelque chose qu’il lui présentât pour ses repas ; souvent même, après son service militaire, il l’aidait à faire son ouvrage. À l’armée il ne buvait que de l’eau ; seulement, lorsqu’il éprouvait une soif ardente, il demandait du vinaigre ; ou, s’il sentait ses forces trop affaiblies, il prenait quelque peu de piquette.

Sa campagne était voisine de la métairie qu’avait possédée Manius Curius, celui qui obtint trois fois le triomphe[1]. Caton y allait souvent ; et, lorsqu’il considérait le peu d’étendue de cette terre et la simplicité de l’habitation, il se représentait cet homme, devenu le premier des Romains, vainqueur des nations les plus belliqueuses, et qui avait chassé Pyrrhus de l’Italie, cultivant lui-même ce petit coin de terre, et, après ses trois triomphes, habitant toujours une maison si pauvre. Ce fut là que les ambassadeurs des Samnites trouvèrent Curius, assis près de son foyer, faisant cuire des raves, et qu’ils lui offrirent une quantité d’or considérable. Mais il refusa : « On n’a pas besoin d’or, dit-il, quand on sait se contenter d’un tel repas ; je trouve plus beau de vaincre ceux qui ont de l’or, que d’en posséder moi-même. » Caton s’en retournait, occupé de ces pensées, puis il faisait de nouveau la revue de sa maison, de ses champs, de ses esclaves et de toute sa dépense, il redoublait de travail et retranchait tout superflu.

  1. Manius Curius avait vaincu les Samnites et les Sabins, et le roi Pyrrhus, les premiers dans l’année 290 avant J.-C., l’autre quinze ans plus tard.