Page:Plutarque - Vies des hommes illustres, Charpentier, 1853, Tome 2.djvu/239

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succomber aux moindres travaux, il se montrait seul invincible et à la peine et au plaisir, et cela, non pas seulement dans sa jeunesse et lorsqu’il briguait les honneurs, mais dans sa vieillesse même et sous les cheveux blancs, après son consulat et son triomphe : on eût dit un athlète continuant, même après la victoire, ses exercices habituels, et y persévérant jusqu’à sa mort. Jamais, écrit-il lui-même, il ne porta de robe qui coûtât plus de cent drachmes[1] ; jamais il ne but, quand il commandait les armées, et même pendant son consulat, d’autre vin que celui de ses travailleurs ; pour son dîner, on n’achetait pas au marché pour plus de trente as de provisions. Et tout cela il ne le faisait que dans l’intérêt de son pays : il voulait se former un tempérament robuste, et propre à soutenir les fatigues de la guerre. Il dit encore qu’ayant acquis, par héritage, une tapisserie de Babylone, il la vendit sur-le-champ ; que pas une de ses maisons de campagne n’était crépie ; que jamais il n’avait acheté d’esclave au-dessus de quinze cents drachmes[2], parce qu’il voulait, non des gens bien faits et délicats, mais des hommes robustes, capables de travail, qui pussent panser les chevaux et mener les bœufs ; et même, lorsqu’ils devenaient vieux, il croyait qu’il les fallait vendre, pour ne pas nourrir des bouches inutiles. En général, suivant lui, rien de superflu n’est à bon marché : une chose dont on peut se passer, ne coûtât-elle qu’un as, est toujours chère ; et il faut préférer les terres à blé et les pâturages, aux jardins, qui demandent d’être arrosés et ratissés.

Les uns taxaient cette conduite de sordide avarice ; d’autres disaient qu’en se resserrant dans ces bornes étroites, il avait en vue de corriger ses concitoyens et de

  1. Environ quatre-vingt-dix francs de notre monnaie.
  2. Environ treize cent cinquante francs.