Page:Plutarque - Vies des hommes illustres, Charpentier, 1853, Tome 2.djvu/245

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trois ambassadeurs ; l’un était goutteux, l’autre avait un vide dans le crâne, par une suite du trépan, et le troisième était tenu pour fou. Caton dit, en plaisantant, que les Romains envoyaient une ambassade qui n’avait ni pieds, ni tête, ni cœur. Scipion, par intérêt pour Polybe, avait intercédé auprès de lui en faveur des bannis d’Achaïe. L’affaire était fort agitée dans le Sénat ; les uns voulaient les renvoyer dans leur patrie, les autres s’y opposaient. Caton se lève et prend la parole : « Il semble, dit-il, que nous n’ayons rien à faire, à rester là une journée entière disputant pour savoir si quelques Grecs décrépits seront enterrés par nos fossoyeurs ou par ceux de l’Achaïe. » Le Sénat décréta le renvoi des Achéens. Polybe, peu de jours après, demanda derechef la permission d’entrer dans le Sénat pour y solliciter le rétablissement des bannis dans les dignités dont ils jouissaient en Achaïe avant leur exil ; et d’abord il voulut sonder les dispositions de Caton. « Tu veux donc, Polybe, dit Caton en riant, rentrer, comme Ulysse, dans l’antre du Cyclope, pour y reprendre ton chapeau et ta ceinture que tu y as oubliés[1]. » Il disait que les sages tirent plus d’instruction des fous, que ceux-ci des sages ; parce que les sages évitent les fautes dans lesquelles tombent les fous, et que les fous n’imitent pas les bons exemples des sages. Il aimait mieux voir rougir que pâlir les jeunes gens ; il ne voulait pas qu’un soldat, en marchant, remuât les mains, ni les pieds en combattant, ni qu’il ronflât plus fort dans son lit qu’il ne criait sur le champ de bataille. Il se moquait d’un homme d’un excessif embonpoint : « À quoi, dit-il, peut servir à la patrie un corps où, du gosier aux aines, tout l’espace est occupé par le ventre ? » Un homme

  1. L’Ulysse d’Homère ne rentre pas dans la caverne. Il est probable, suivant la remarque de Clavier, que Caton fait allusion à quelque pièce bouffonne où Ulysse jouait un rôle un peu ridicule.