Page:Plutarque - Vies des hommes illustres, Charpentier, 1853, Tome 2.djvu/253

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il arriva à Rome, le cinquième jour depuis son débarquement. La nouvelle de cette victoire n’y était point encore parvenue. Il remplit la ville de joie et de sacrifices ; il fit concevoir au peuple une haute opinion de lui-même, et Rome se crut assez forte pour conquérir l’empire de la terre et de la mer.

Telles sont, à peu près, entre les actions militaires de Caton, celles qui ont le plus illustré sa mémoire. Quant au gouvernement civil, on remarque qu’il n’y avait rien à ses yeux qui méritât plus d’exercer son zèle que la dénonciation et la poursuite des méchants. Il se porta plusieurs fois accusateur ; il seconda d’autres accusateurs dans leurs poursuites, et en suscita même quelques-uns, entre autres Pétilius contre Scipion. Mais Scipion, confiant dans la noblesse de sa maison et dans sa propre grandeur, foulait aux pieds les accusations ; et Caton ne put venir à bout de le faire condamner à mort. Il se désista de cette poursuite ; mais il se joignit aux accusateurs de Lucius, frère de Scipion, qu’il fit condamner à une forte amende envers le public. Lucius, hors d’état de la payer, se vit en danger d’être jeté en prison, et ne se sauva qu’à grand’peine, par un appel aux tribuns.

Un jeune homme avait fait noter d’infamie un ennemi de son père mort depuis peu, et traversait, après le jugement, la place publique. Caton vint à sa rencontre, et lui dit en l’embrassant : « Voilà les offrandes funèbres dignes des mânes d’un père : ce n’est pas le sang des agneaux et des chevreaux qu’il faut faire couler, mais les larmes de ses ennemis condamnés. »

Au reste, il ne fut pas lui-même, durant sa carrière politique, à l’abri des accusations : dès qu’il donnait la moindre prise à ses ennemis, il était traduit en justice, et réduit à se défendre. Il fut, dit-on, accusé près de cinquante fois ; et, à la dernière, il avait quatre-vingt-six